Réaffirmant l'existence d'une obligation de moralité pesant sur le fonctionnaire, l'arrêt Gomard présente un Conseil d'Etat qui rejette tous les moyens tirés de la légalité externe de l'acte administratif concerné pour le valider intrinsèquement, face aux seuls faits qui l'ont provoqué.
Monsieur Gomard occupait un poste d'inspecteur principal des impôts de la direction des enquêtes et recherches de la région parisienne jusqu'à sa révocation intervenue par arrêté du Ministre de l'Economie et des Finances en date du 29 juillet 1963. Cette révocation est la conséquence d'une procédure disciplinaire menée à l'encontre du fonctionnaire et qui s'est fondée sur les relations qu'il avait entretenu avec des trafiquants d'alcool.
L'agent révoqué a attaqué l'arrêté prononçant sa révocation par la voie du recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Paris qui accède à sa requête par un jugement du 1er février 1967. Le Ministre de l'Economie et des Finances à l'origine de la révocation fait appel de cette décision devant le Conseil d'Etat – alors juge de second degré, les cours administratives d'appel ne devant voir le jour sous la plume législative qu'en 1987 – qui va annuler le jugement du Tribunal Administratif et donner une solution opposée dans l'arrêt qu'il nous appartient de commenter. Le Conseil d'Etat va en effet admettre la révocation de l'agent Gomard qui succombe donc dans cet appel.
La difficulté ne se situe pas tant dans les faits à l'origine de la procédure disciplinaire, ceux-ci n'ayant fait l'objet d'aucune discussion du Conseil de Discipline au Conseil d'Etat qui estime qu'ils « n'étaient pas matériellement inexacts », que dans le fondement utilisé par le juge de première instance pour asseoir sa décision d'annuler la décision de révocation du sieur Gomard. Le Tribunal avait pris le parti d'accéder à l'un des moyens soulevés par le requérant révoqué qui arguait que le fait d'avoir versé au dossier des pièces qui lui étaient défavorables justifiait l'annulation de la sanction disciplinaire résultée de la procédure incriminée. Les premiers juges ont suivi son argumentation, annulant l'arrêté pour un vice de légalité externe, un vice de procédure consistant en le versement des pièces défavorables au dossier.
Le Conseil d'Etat va désintégrer cette position en retenant que les pièces, bien que défavorables, n'ont été retenues comme fondement à aucun moment de la procédure disciplinaire. Partant, il affirme que le Tribunal administratif de Paris a commis une erreur en fondant son annulation sur la seule présence de ces pièces. Pour le juge d'appel, la sanction disciplinaire est justifiée et aucun des deux autres moyens présentés en première instance par le plaignant n'est fondé, moyens que le Conseil va réexaminer conformément à l'effet dévolutif de l'appel dont il bénéficie, n'étant pas dans cet arrêt juge de cassation
Pour quel fondement le juge d'appel va-t-il opter pour baser sa décision de valider la sanction disciplinaire à l'encontre du fonctionnaire ? Il va nous donner la réponse et aller plus loin en nous indiquant la seule voie possible pour annuler une telle sanction.
En effet, le Conseil d'Etat fonde sa décision d'accéder à l'argumentation de l'autorité administrative qui l'a saisi du recours sur les seuls faits à l'origine de la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire. Les relations que l'agent avait entretenues avec des trafiquants d'alcool étaient incompatibles avec ce que le Conseil appelle « l'honneur professionnel ». Le juge d'appel sanctionne ici l'agent public au titre d'une obligation de moralité, qui pèse sur tous les fonctionnaires avec une intensité différente selon leurs situations particulières, personnelles et professionnelles.
Partant, le Conseil nous indique que seule l'inexactitude matérielle des faits ou une erreur manifeste dans leur appréciation aurait pu fonder l'annulation de la sanction. Le juge administratif va ici réaffirmer l'existence d'une obligation de moralité comme pesant effectivement sur le fonctionnaire, même hors du cadre de ses fonctions en confirmant la révocation de l'agent.
Ce que nous dit la haute juridiction c'est au fond que les moyens tirés de la procédure disciplinaire, s'ils auraient pu être discutés dans une autre espèce, doivent ici être regardés comme remplis eu égard à la gravité du comportement de l'agent qui rend nécessaire la sanction prononcée.
Le Conseil d'Etat va procéder à la validation en appel d'une procédure disciplinaire questionnée par l'agent en nombre de ses aspects (I) afin de consacrer dans cette espèce la primauté de la sanction d'une immoralité de l'agent qui n'est pas remise en question (II).
[...] Ainsi, lorsqu'un instituteur dans un petit village devient alcoolique et ne change pas son comportement malgré de nombreuses demandes de ses supérieurs hiérarchiques, le Conseil admettra sa révocation (CE 26 mai 1965 Vialle). Postérieurement à l'affaire du sieur Gomard, la Haute juridiction sanctionnera le manquement à cette obligation dans un arrêt plus célèbre du 24 juin 1988, l'arrêt Chamand, dans lequel il valide la sanction disciplinaire d'un policier condamné pour coups et blessures en dehors de son service car un tel comportement porte atteinte à la réputation de l'administration. [...]
[...] L'obligation de moralité pesant sur lui est forte, la gravité et la publicité des faits sont des circonstances de nature à aggraver les faits qu'il a pourtant commis hors de ses fonctions et permettre qu'ils soient disciplinairement sanctionnés. Le Conseil d'Etat valide la sanction disciplinaire de révocation à l'encontre de l'agent, déclare parfaite ce faisant sa légalité interne sur le seul fondement des faits à l'origine de la procédure disciplinaire et va aller jusqu'à encadrer strictement toute possibilité d'annuler de telles sanctions. B. [...]
[...] L'argumentation sinueuse du Conseil d'Etat paraît alors sous un jour beaucoup plus limpide. Il lui fallait évacuer le seul motif sérieux de cette requête afin de consacrer l'existence d'une obligation de moralité pesant sur le fonctionnaire et permettre à l'administration de sanctionner sur son fondement autonome. II. La primauté de la sanction d'une immoralité incontestée La légalité externe ayant été apurée de tous les vices qu'excipait l'agent, le juge d'appel peut désormais se pencher sur la légalité interne de l'acte de sanction. [...]
[...] Ces deux principes constituent aux yeux du juge administratif deux entités fondamentales de la garantie des droits des agents dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Il considère en l'espèce qu'il n'est pas établi que l'un de ces principes a été méconnu, de sorte que, selon le Conseil, la troncature d'un texte versé au dossier fut-il une décision de justice est de peu de conséquences dès lors que sens et portée ne sont pas altéré et que les principes minimaux garantis aux fonctionnaires dans le cadre d'une procédure disciplinaire ne sont pas bafoués. [...]
[...] Si des pièces sont reconnues inexactes mais figurent toujours dans un dossier administratif tendant à sanctionner un agent, cela peut s'apparenter à de la diffamation ou, à tout le moins, à une certaine intention de nuire. Le Conseil d'Etat s'en sort en invoquant les mêmes principes appellerait-on cela des droits de la défense ? reconnus aux fonctionnaires dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Ainsi, l'irrégularité de ces pièces disparaît dès lors que l'agent a pu s'expliquer clairement sur toutes les pièces présentes au dossier et faire la lumière sur leur portée réelle. [...]
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