« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d'une nation qu'en visitant ses prisons ». Telle est la citation empruntée à DOSTÏEVSKI que F.BOLOPION utilise comme accroche à son ouvrage « Guantanamo, le bagne du bout du monde », écrit à la suite de sa visite à Guantanamo Bay, à Cuba, où sont détenus, par les Etats-Unis, leurs « ennemis combattants », capturés notamment en Afghanistan dans un contexte particulier de tensions internationales.
Les attentats perpétrés contre les Etats-Unis le 11 septembre 2001, visant les deux tours du World Trade Center de New York, puis le Pentagone, et le nombre considérable de victimes qu'ils ont occasionné, ont fortement déstabilisé cet État. Ces actes ont été désignés par le Président des Etats-Unis G.W.BUSH comme des actes de « guerre », revendiqués par l'organisation terroriste Al Qaïda. La réaction américaine, qualifiée de « guerre contre le terrorisme », a pris la forme, dès le 6 octobre 2001, d'un conflit armé en Afghanistan. L'attaque de cet État avait pour but de renverser le sommet de l'organisation terroriste Al Qaïda, dont le chef, Oussama BEN LADEN, serait caché en Afghanistan, aux sues et vues des Talibans, gouvernement de facto de cet État. Cette guerre en Afghanistan a conduit à l'arrestation, sur les champs de bataille, de membres présumés d'Al Qaïda et de Talibans principalement. Dès le 11 janvier 2002, les Etats-Unis ont transféré près de 150 personnes, capturées en Afghanistan, sur la base navale américaine de Guantanamo Bay, à Cuba, mais appartenant aux Etats-Unis depuis des dizaines d'années.
En effet, en 1902, la victoire des Etats-Unis dans la guerre hispano-américaine mit fin à la domination coloniale espagnole de Cuba, qui fut alors occupée par les Etats-Unis. Un bail relatif au territoire de la base navale américaine de Guantanamo Bay fut conclu en 1903. Cette base, construite comme lieu militaro-stratégique, servit la politique d'intervention des Etats-Unis puis devint le symbole concret des Américains en territoire communiste ennemi. Depuis lors, le gouvernement cubain considère la présence américaine à Guantanamo comme une occupation illégale, comme une violation de son territoire et de sa souveraineté1. Il n'accepte plus le paiement du bail et exige la restitution de la zone, puisque le contrat relatif à la base a été déclaré illégal de manière rétroactive dans la Constitution cubaine de 1976. Toutefois, cette base continue à servir de champ de manœuvres aux Etats-Unis, et son utilité a ressurgi depuis janvier 2002.
Le nombre des individus détenus sur cette base atteint aujourd'hui cinq cents personnes, appartenant à quarante-deux nationalités différentes, plus de deux cents prisonniers ayant déjà été libérés, souvent dans la discrétion. Capturés en Afghanistan, lors des combats des forces américaines et de l'Alliance du Nord contre le régime des Talibans, les premiers prisonniers ont été rejoints par des terroristes présumés, venus du Pakistan et d'autres pays.
Ces prisonniers sont actuellement détenus sur la base du Military Order du Président BUSH, en date du 13 novembre 2001, d'après lequel le Président des Etats-Unis a compétence pour déterminer lui-même quels individus suspectés d'être membres d'Al Qaïda peuvent être capturés et transférés à Guantanamo. Les détenus ont tout d'abord été internés dans le « Camp X-Ray », un camp temporaire à ciel ouvert. En avril 2002 a débuté la construction d'un nouveau camp plus sécurisé et possédant une capacité plus étendue, le « Camp Delta », où ont été transférés les prisonniers du Camp X-Ray. Un Camp 5 est actuellement en construction. Il s'agit d'une prison en dur, construite pour une centaine de prisonniers, réservée aux détenus qui seront définitivement condamnés par les commissions militaires, et abritant une chambre de la mort pour les exécutions capitales. Le nouveau camp de prisonniers n'a donc plus rien du caractère provisoire de l'ancien camp.
Si on a beaucoup entendu parler de « guerre », on n'a, en revanche, pas beaucoup entendu parler de droit, notamment par les Etats-Unis, restés muets pendant un temps concernant le statut des prisonniers qu'ils détiennent à Guantanamo. Pourtant, la « guerre » est un phénomène régi par le droit international, de deux façons : d'une part, le jus ad bellum détermine les situations dans lesquelles il est licite de recourir à la « guerre », et d'autre part, le jus in bello réglemente la conduite de la guerre, comprenant notamment le droit international humanitaire (DIH), protégeant les victimes de la guerre. Ce droit est aujourd'hui largement codifié dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 , auxquelles tous les États sont parties, et leurs Protocoles additionnels de 1977, rejetés cependant par les Etats-Unis et l'Afghanistan.
Après certaines hésitations et divergences de vue au sein de son administration, le Président des Etats-Unis a finalement décidé, le 7 février 2002, que les Conventions de Genève s'appliquaient aux Talibans détenus, mais pas aux membres d'Al Qaïda. Mais ni les Talibans, ni les membres d'Al Qaïda ne se verront attribuer le statut de prisonnier de guerre, puisqu'ils ne sont, selon l'administration BUSH, que des « combattants ennemis ». Les Etats-Unis entendent donc faire une application sélective des Conventions de Genève, mais ont toujours affirmé leur obligation de traiter les prisonniers avec humanité.
Le refus persistant d'appliquer le statut de prisonnier de guerre aux détenus de Guantanamo traduit la conviction que les concepts classiques seraient inadaptés dans la crise actuelle. En effet, les organisations terroristes, telle Al Qaïda, ne rempliraient pas les critères justifiant une telle application, mais surtout, leur fonctionnement et leur action seraient contraires aux principes qui fondent de tels critères. En devenant des ennemis jurés de l'Amérique, ils ont abdiqué tout droit à être considérés comme des prisonniers de guerre normaux, protégés par les Conventions de Genève.
Il est vrai que la question du traitement des combattants irréguliers, c'est-à-dire n'ayant pas respecté le DIH, n'a jamais vraiment été résolue de manière satisfaisante. Il est seulement admis qu'ils sont privés du statut de prisonnier de guerre et qu'ils peuvent faire l'objet de poursuites à raison de leur participation aux hostilités.
Face à cette position, la Communauté internationale a vivement réagi. Des organisations ou institutions internationales, de nombreuses organisations non gouvernementales, des gouvernements, des juristes du monde entier ont ardemment critiqué le système de détention mis en place par les Etats-Unis à Guantanamo. En effet, de telles détentions ne seraient pas légalement justifiées. Les individus capturés en Afghanistan seraient soit des combattants admis à la qualité de prisonniers de guerre et protégés par la Convention III de Genève, soit des civils entrant dans le champ d'application de la Convention IV. Il n'existerait pas de catégorie intermédiaire entre combattant et civil, qui échapperait à la protection du droit humanitaire dans les conflits armés internationaux, ni de vide juridique entre la Convention III protégeant les prisonniers de guerre, et la Convention IV pour les personnes civiles. Dans tous les cas, les prisonniers de Guantanamo ne pourraient être détenus que dans des conditions respectant leur dignité humaine et leur intégrité physique et morale, en l'attente d'un jugement. Or, en l'espèce, ces prisonniers seraient détenus dans des conditions plus que douteuses, aux vues de dénonciations de tortures ou traitements inhumains par certaines organisations ou par d'anciens détenus eux-mêmes. De plus, ils seraient détenus depuis plus de trois ans pour certains, et pour une durée illimitée, puisque aucune charge ne serait retenue contre eux, donc sans attente d'un procès éventuel. Ces détenus se trouveraient ainsi dans un véritable « trou noir juridique », puisque exclus du DIH traditionnellement applicable et appliqué. Enfin, la proportion des prisonniers actuels ayant une « valeur » du point de vue du renseignement ne serait que de 25%, les Etats-Unis ayant déjà libéré plus de cent cinquante personnes, ce qui pose la question du processus de sélection des détenus envoyés à Guantanamo, d'autant plus que des erreurs ont été commises dans le choix des personnes relâchées, certaines étant retournées sur les champs de bataille. Devant autant de méprises, la question du bien-fondé des détentions par les Etats-Unis est immédiatement soulevée.
La zone de non-droit dans laquelle se trouvent les personnes détenues par les Etats-Unis ne résulte donc pas tellement de l'absence de droit applicable. Il s'agit en fait d'un problème d'interprétation du droit existant.
Il faut donc examiner si les attaques contre les Etats-Unis et leurs répliques peuvent être qualifiées par le DIH, afin de repérer s'il s'applique à l'espèce, car l'applicabilité et l'application de ce droit dans la « guerre contre le terrorisme » sont controversées, notamment en ce qui concerne le statut des personnes arrêtées par les Etats-Unis en Afghanistan et transférées sur leur base militaire à Guantanamo.
Il est constant que le DIH s'applique à partir du moment où il y a conflit armé international, d'où l'intérêt de rechercher d'abord comment peuvent être qualifiées les attaques du 11 septembre et la réponse faîte par les Etats-Unis en Afghanistan. Étant donné qu'il semble que les prisonniers de Guantanamo ne sont issus que de ce conflit, il ne paraît pas indispensable de qualifier les conflits suivants, notamment celui opposant les Etats-Unis à l'Irak. Puis, il faudra examiner la situation des personnes détenues par les Etats-Unis, notamment savoir quel a été leur comportement avant qu'elles ne soient arrêtées, afin de déterminer si elles peuvent bénéficier du statut de prisonnier de guerre.
La « guerre contre le terrorisme » est incontestablement une nouvelle forme de guerre qui n'avait pas été envisagée lorsque les Conventions de Genève ont été négociées et signées. Une lecture attentive de ces conventions peut laisser penser que ces dispositions ne s'appliquent pas aux terroristes qui s'engagent dans des activités totalement contradictoires avec les Conventions. Ainsi, la question est posée de savoir si les terroristes ont réellement des droits. Bien sûr, ils doivent être traités humainement, cela est incontestable. Mais, il semble dur d'admettre qu'ils aient droit au statut ou aux bénéfices qui sont réservés aux combattants légaux, ce qui pourrait d'ailleurs conduire en quelque sorte à légitimer leurs actes. Finalement, si le comportement des Etats-Unis peut apparaître contestable, il a au moins l'intérêt de faire apparaître les lacunes du DIH existant, voire ses ambiguïtés. Mais, il n'apporte pas réellement de réponse satisfaisante à la question de savoir si le DIH doit être modifié, et surtout, dans quel sens.
Si le Secrétaire général des Nations Unis a affirmé que « les actes terroristes constituent de graves violations des droits de l'homme », il a souligné le fait que la riposte engagée par les Etats-Unis doit être fondée sur le respect des droits fondamentaux que les terroristes veulent justement réduire à néant car « le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la primauté du droit sont des outils indispensables à la lutte contre le terrorisme, et non des privilèges que l'on peut sacrifier en période de tensions ».
Finalement, le problème qui se pose n'en est pas moins celui du respect du droit international dans son ensemble, notamment par les Etats-Unis. Leur décision de ne pas appliquer les Conventions de Genève ne fait que refléter l'attitude plus générale de l'administration américaine de se soustraire au droit international. Cette situation fait immédiatement remarquer la quasi-absence de protection juridictionnelle interne et/ou internationale des droits.
Ainsi, il faut noter tout d'abord que les Etats-Unis ont placé les détenus de Guantanamo dans un véritable « trou noir juridique », à la suite d'un conflit armé international les opposant à l'Afghanistan (partie I). Une telle situation, inédite à ce jour, a conduit la Communauté internationale à s'interroger sur l'applicabilité du DIH à l'espèce, à repenser les concepts établis précédemment par lui, et finalement à se questionner sur sa viabilité face au nouveau type de conflit qui s'est révélé, à savoir la « guerre contre le terrorisme » (partie II).
[...] Le Comité des droits de l'homme a ainsi déclaré que la définition de terrorisme dans les lois nationales était si large qu'elle englobait tout un éventail d'actes de gravité différente Alors, il faut se poser à nouveau la question de savoir si une personne perd la protection offerte par le DIH en raison de violations de ce droit commises par elle-même ou par les forces armées auxquelles elle appartient. L'ambiguïté de la notion de guerre contre le terrorisme favorise ainsi la confusion juridique et l'affaiblissement de la protection des personnes. Le concept de guerre civile internationale à adopter ? La typologie traditionnelle ne connaît que deux situations de conflit armé : le conflit armé interétatique, qualifié de guerre, et le conflit armé non interétatique, qualifié de guerre civile. [...]
[...] Lui-même se divise en deux ordres. D'une part, on distingue le droit de la guerre, dit droit de La Haye, puisque issu des diverses déclarations et conventions de La Haye établies entre 1899 et 1973, qui fixe les droits et les devoirs des belligérants dans la conduite des opérations et limite le choix des moyens de nuire à l'ennemi. D'autre part, le droit humanitaire, dit droit de Genève, car essentiellement contenu dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, tend, lui, à sauvegarder les militaires mis hors de combat ainsi que les personnes qui ne participent pas aux hostilités, en imposant de les respecter, protéger et traiter humainement. [...]
[...] SMOLAR, Deux Français de Guantanamo affirment avoir subi des violences Le Monde, 1er et 2 août 2004, p.6. Or, la définition classique de la torture retient toute méthode utilisée par un agent de l'État pour intimider ou extorquer des aveux à des personnes auxquelles on inflige une douleur aiguë, qu'elle soit physique ou psychologique comme le rappelle P. BOLOPION, Guantanamo, le bagne du bout du monde Paris, La Découverte, p.191. Révélées dans l'article de E. SHRAEDER et G. MILLER, US officials defend interrogation tactics Los Angeles Times mai 2004, in www.latimes.com C. [...]
[...] L'apparition de nouvelles notions concernant les détenus à méditer 1. La notion de guerre contre le terrorisme : des dérogations au nom de la sécurité La notion de guerre contre le terrorisme dégagée par les Etats-Unis Une notion sans valeur juridique en droit international 2. Le concept de guerre civile internationale à adopter ? Chapitre 2 : Des détenus dans un contexte inédit face à des règles établies I. Des détenus dans un contexte humain et territorial inédit A. Des détenus aux situations très diversifiées 1. [...]
[...] HAROUEL Grands textes du droit humanitaire. Paris, PUF, coll. Que sais-je ? pages 2. ZEMMALI Combattants et prisonniers de guerre en droit islamique et en droit international humanitaire. Paris, Pedone pages 4. ARTICLES 3. [...]
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