"Que nous ne pouvons tout avoir est une vérité non pas contingente mais nécessaire".
Isahiah BERLIN
Le temps de la réconciliation entre la société française et le pluralisme est enfin venu.
Cherchant assurément à se démarquer de l'idée enracinée dans les consciences selon laquelle "le pluralisme n'est pas un mot français", la majorité gouvernementale actuelle clame son caractère pluriel ; se faisant chantre du pluralisme, son premier ministre déclare quand à lui sans détours devant le Parlement : "la démocratie ne peut vivre sans pluralisme".
Quelle éclatante révélation publique du renoncement (définitif ?) au dogme de l'unité hérité de la Révolution française.
Marcel GAUCHET s'évertue à le montrer, la Révolution française, à l'opposé de la Révolution américaine pourtant contemporaine, place le train de la démocratie sur les rails en empruntant la voie de l'unité plutôt que celle du pluralisme ; cette unité est alors symbolisée par la fiction cardinale d'un corps politique un et indivisible.
Depuis lors, seule marque, en France, d'un renversement limité de perspective, le bicamérisme qui opère quelque peu une dissociation de la représentation du corps social. Mais, de faible envergure, cette victoire du pluralisme est un fait mineur au regard d'un souci permanent d'un éclatement immaîtrisable de la société qui conduit à la promotion ininterrompue et privilégiée du dogme unitaire de la cohésion sociale et politique.
Conséquence nécessaire, "en matière de pluralisme conclue Evelyne PISIER, la tradition française, c'est le moins que l'on puisse dire, est mal outillée."
Illustre manifestation de ce fait juridique, le "bloc de constitutionnalité" ne comporte explicitement aucune allusion à ce concept. A cet égard, la tradition française est aux antipodes de sa voisine espagnole qui évoque le pluralisme dans sa Constitution, dès l'article 1 alinéa 1.
Dès lors, la plaidoirie en faveur du pluralisme qui ne manque pas de caractériser l'actuel gouvernement et dont se font l'écho les médias peut ainsi être analysée comme un pas décisif vers la prise de conscience d'une authentique dynamique pluraliste. Cette dynamique s'inscrit dans une perspective qui vise à rompre radicalement avec les apories de l'unité durement vécues au milieu de ce siècle. L'histoire montre en effet que la démocratie s'est enracinée - "phase de consolidation victorieuse" - dans la dynamique pluraliste et point ailleurs.
Pourtant le pluralisme n'est pas sans danger pour la démocratie elle-même. En effet, le pluralisme porte en lui les germes destructeurs de la cohésion sociale essentielle à tout système politique étatisé.
De ce fait, dans la pratique, la démocratie d'essence pluraliste tend inexorablement, vers la recherche d'une sorte d'unité, le consensus. C'est ici toute la logique du système majoritaire en place. Mais alors, cette majorité politique plurielle, au prix d'une représentation plus proche d'une vérité sociologique effectivement plurielle, assume ainsi le risque de l'impossible consensus et donc de l'ingouvernabilité.
Les rapports entre pluralisme et démocratie ne sont donc pas si féconds : en fait, le pluralisme est avant tout un défi pour la démocratie.
Plus encore, au regard des principes républicains qui préconisent l'homogénéité du corps social ou l'identification entre l'Etat, le peuple et le droit, le pluralisme est une hérésie.
Dès lors, en matière de pluralisme, tout invite à une démarche prudentielle qui tient nécessairement compte des différents héritages historiques.
Justement, au fil du temps, selon Marcel GAUCHET, le principe pluraliste, s'est profondément renouvelé : "d'un pluralisme politique qui supposait la cohésion et l'identité collective comme données préalables et comme conditions d'expression, on est passé à un pluralisme élargi à la société toute entière et produisant la cohésion collective à partir de ce qui la met en péril." Ce philosophe apporte ainsi une réponse aux politologues préoccupés par la question de la forme de pluralisme qui permet une démocratie viable.
Par essence, le pluralisme est effectivement multiple. Comment s'y retrouver dans ces innombrables définitions possibles, comment s'entendre sur les termes ?
Les dictionnaires classiques définissent le pluralisme comme "l'état de ce qui n'est pas unique, mais présente des différences" ou encore une "doctrine qui préconise la coexistence constructive de ces diverses tendances". Ces éléments de définition par trop basique, ou trop flou, laissent perplexe qui souhaiterait comprendre enfin ce concept obscur ! Néanmoins il faut admettre qu'en substance, ces éléments indiquent bien que la base du concept réside dans le constat de l'existence de différences dans les comportements, les idées, les croyances, les institutions (...), mais qu'au delà de ce constat de différenciation, le concept signifie aussi et surtout, la reconnaissance de la légitimité de cette diversité.
C'est sur ce fond commun de définition que se greffent toutes les acceptions possibles du pluralisme, aussi variées que les disciplines qui peuvent s'en emparer, et les thèmes auxquels il peut s'appliquer...
Précisément, dans ce cadre élargi de la politique intéressant l'ensemble de la vie de la cité, en appeler ainsi au pluralisme consiste à chercher à fonder le système sur la coexistence pacifique d'opinions et d'intérêts pluriels et conflictuels.
Cette démarche qui montre que le système parvient maintenant à "assumer les conflits et tensions suscités par une diversité concrètement et effectivement acceptées", traduit incontestablement une certaine maturité démocratique. Or, ce stade de maturité typique des systèmes démocratiques occidentaux peut procéder notamment de la réussite d'une sorte d'épreuve de passage : le constitutionnalisme.
A ce stade, la démocratie n'est plus essentiellement le "règne du nombre", elle est aussi le "règne du droit". Ainsi, les démocraties qui s'affirment pluralistes se caractérisent non seulement par l'organisation d'élections libres et l'exercice du gouvernement par la majorité, mais aussi par le respect de l'opposition, le respect de la Constitution, et la garantie des droits fondamentaux des citoyens.
En France, l'histoire constitutionnelle montre encore que l'institution d'un organe indépendant capable de soumettre les pouvoirs publics au contrôle de constitutionnalité n'allait pas de soi. Néanmoins, la Constitution du 4 octobre 1958 crée le Conseil constitutionnel.
Cet organe composé de neuf membres nommés pour neuf ans par le Président de la République et les Présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, est doté des instruments juridiques lui permettant d'effectuer un authentique contrôle de constitutionnalité des lois.
Chacun le sait maintenant malgré un "naissance difficile", depuis le coup de force de 1971, cette institution dont la nature juridictionnelle ne fait plus guère de doute - notamment au regard de l'incontestable caractère juridique des décisions qu'elle rend - est devenue l'un des piliers essentiels d'un "régime d'énonciation concurrentiel de la volonté générale". Or, dans l'hypothèse où le message du professeur Dominique ROUSSEAU paraîtrait encore obscur, comme le note fort à propos Henry ROUSSILLON, ce nouveau régime d'énonciation concurrentiel de la volonté générale n'est au fond qu'une autre manière de définir la Démocratie.
Il convient d'être très clair, et de donner raison à Marie-Joëlle REDOR sur ce point, cette perspective revient évidemment à légitimer le rôle du Conseil constitutionnel, en même temps qu'elle contribue à renouveler le concept de démocratie lui-même.
Mais puisqu'ainsi va le cours de l'histoire (constitutionnelle), pourquoi délégitimer une telle démarche ?
Par contre, afin que le rôle de la doctrine ne se cantonne effectivement pas à "justifier l'existant", et dans la mesure où l'activité du Conseil constitutionnel est devenu ce qu'elle est, ne paraîtrait-il pas judicieux de surveiller dorénavant, de plus près, la jurisprudence constitutionnelle elle-même ?
Par exemple, pour reprendre la réflexion de Marie-Joëlle REDOR, puisqu'il semble peu contestable que le contrôle de constitutionnalité "transforme les questions politiques en problèmes juridiques", en analysant de façon approfondie les décisions du Conseil, il deviendrait possible de discuter le fait qu'il existe peut-être dans la jurisprudence constitutionnelle des "politiques jurisprudentielles" à caractère plus politique que juridique...
Voilà semble-t-il une façon de renouveler le débat doctrinal sur la justice constitutionnelle.
Ainsi recadrée, la question de "la démocratie dans la jurisprudence constitutionnelle" n'augure t-elle pas de passionnantes discussions ?
Justement, il s'avère que dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel, sans toutefois définir le concept de démocratie, s'y réfère... en le mettant en rapport avec la notion de pluralisme. Cette première observation amène à conclure qu'une réflexion sur le concept de démocratie dans la jurisprudence constitutionnelle nécessite au préalable une analyse approfondie du traitement jurisprudentiel du concept de pluralisme...
Dans ses décisions, le juge constitutionnel écrit en effet : "le respect du pluralisme des courants d'expression socioculturels est une des conditions de la démocratie", puis "l'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions constitue le fondement de la démocratie".
Cette ébauche d'analyse montre que le Conseil évoque la démocratie en se référant à deux types de pluralisme différents : le pluralisme des courants d'expression socioculturels et le pluralisme des courants d'idées et d'opinions. Dès lors, entre pluralisme et démocratie, deux poids deux mesures... A l'aune de la démocratie en effet, ces deux pluralismes n'ont pas le même statut.
Une remarque s'impose alors, puisque le Conseil constitutionnel se prononce ainsi sur le pluralisme, n'est-il pas légitime de penser qu'il participe du mouvement favorisant une émergence incontestable du concept de pluralisme ?
Dans l'affirmative, le juge constitutionnel est un des acteurs de cette réconciliation de la société française avec le pluralisme.
Pourtant alors, au regard de cette première analyse, il est possible de pressentir que si contribution il y a, elle paraît mesurée ; en effet, avec un scrupule notable, le Conseil semble veiller à circonscrire très précisément les rapports entre démocratie et pluralismes.
Partant, c'est la démarche elle-même du juge constitutionnel qui est mesurée ; peut-il d'ailleurs en être autrement au regard de l'héritage historique précédemment évoqué ? Dépourvu de légitimité proprement démocratique, le Conseil constitutionnel pourrait-il imposer à la société française sa réconciliation avec le pluralisme ?
Très loin de cette idée, l'analyse dynamique des décisions du Conseil constitutionnel traitant du pluralisme permet de montrer qu'en réalité s'impose d'emblée à l'esprit l'idée d'une démarche prudentielle.
En effet, ce traitement jurisprudentiel semble caractérisé par une évidente géométrie variable.
Dans sa célèbre décision des 10 et 11 octobre 1984, le Conseil constitutionnel consacre le "pluralisme des quotidiens d'information politique et générale" comme "objectif de valeur constitutionnelle" ; alors, ce dernier permet essentiellement de limiter les concentrations des entreprises de presse. En 1986, le conseil consacre cette fois le "pluralisme de la presse" comme "principe à valeur constitutionnelle". Cette même année, le 18 septembre, le Conseil déclare que le "pluralisme des courants d'expression socioculturels" doit être analysé "en lui-même", comme un "objectif de valeur constitutionnelle" autorisant le législateur à limiter la liberté de communication dans l'ensemble du secteur de la communication.
Statuant alors sur la loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, le 11 janvier 1990, le Conseil considère que "l'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions constitue le fondement de la démocratie". A noter ici le saut qualitatif entre 1986 et 1990, d'une part par rapport à la démocratie : le pluralisme passe de simple condition au statut de fondement, et d'autre part, du point de vue de la qualification, le pluralisme devient une exigence.
Pourtant, retour regrettable commentent certains auteurs, quatre ans plus tard, le 21 janvier 1994, s'agissant à nouveau de contrôler la constitutionnalité d'une loi portant réforme du statut de la communication, le juge reprend in extenso le considérant de 1986 qui consacrait l'objectif de "pluralisme des courants d'expression socioculturels" comme "l'une des conditions de la démocratie". Non seulement alors, il abandonne la formulation solennelle de 1990, mais par rapport à 1986, bien qu'il rappelle fermement le principe d'une protection constitutionnelle du pluralisme, il tolère des atteintes substantielles à cet objectif en admettant la pertinence de certaines concentrations multimédias dans le but de ne pas pénaliser les entreprises françaises face à la concurrence internationale.
Dans un imbroglio de formulations différentes, ce traitement jurisprudentiel procède d'avancées et de retours en arrière incessants ayant pour conséquence première de protéger de façon fluctuante le pluralisme, et seconde, de ne pas permettre de déterminer la substance exacte du concept constitutionnel de pluralisme.
Ceci explique peut-être l'attitude très partagée qu'adopte la doctrine vis-à-vis de ce traitement jurisprudentiel.
Alors que certains commentateurs de la justice constitutionnelle semblent répugner à s'intéresser au concept de pluralisme, d'autres considèrent au contraire que ce traitement jurisprudentiel mérite la plus grande attention parce qu'il a conduit le Conseil constitutionnel à découvrir le principe des principes, c'est-à-dire le "point de départ logique d'où se déduit l'ensemble de l'organisation constitutionnelle, politique, économique, sociale et culturelle du pays."
Raisonnant de la sorte depuis 1990, ces commentateurs, soit ne se sont pas préoccupés du "revirement" du 21 janvier 1994, soit l'ont délibérément passé sous silence, soit encore n'ont pu que le regretter amèrement... En effet, c'est à l'occasion de cette décision que se cristallise toute la problématique de ce traitement jurisprudentiel du pluralisme.
Comment expliquer que le Conseil soit alors revenu à la formulation de 1986, après ce détours solennel de janvier 1990 ?
Faut-il en déduire que la référence à l'exigence du pluralisme, fondement de la démocratie, glissée dans la décision du 11 janvier 1990 n'est autre que le fruit des circonstances ? (elle intervient effectivement symboliquement quelques mois après la chute du mur de Berlin) Auquel cas, il n'est nul besoin de s'interroger plus avant sur ce traitement jurisprudentiel puisqu'alors il faut considérer globalement que le concept constitutionnel de pluralisme se définit comme pluralisme des courants d'expression socioculturels, est qualifié par le juge d'objectif de valeur constitutionnelle et constitue l'une des conditions de la démocratie.
Or, cette thèse qui revient à supposer que le juge, sous l'influence des circonstances, ait fait un "écart" dans sa jurisprudence - et peut-être même dans son rôle de juge "bouche de la loi" - le 11 janvier 1990, ne paraît pas convaincante. En effet, il existe dans la jurisprudence des éléments qui invitent à penser que cette décision, au contraire, s'inscrit dans une certaine politique jurisprudentielle.
Dès lors, sur la bas d'une étude affinée du contentieux constitutionnel relatif au pluralisme, et sous réserve que "chacun, évidemment, investit sa propre subjectivité dans l'appréciation des décisions du Conseil constitutionnel", il paraît raisonnable de considérer que ce traitement jurisprudentiel présente les traits d'une authentique géométrie variable.
Envisager ainsi, ce traitement jurisprudentiel suscite nécessairement la critique. Comment le juge peut-il déduire d'un "bloc de constitutionnalité" fixe, autant de versions d'un même principe ? Comment ne pas considérer que cette jurisprudence relève de l'arbitraire du juge constitutionnel ? Comment enfin tolérer une jurisprudence pour le moins imprévisible tant pour le Parlement que pour le citoyen ?
Sur ce point, Danièle LOCHAK s'exprime en ces termes en 1980 : "principes introuvables, principes à géométrie variable, principes au contenu élastique ou aux effets aléatoires... : la souplesse et la flexibilité des normes applicables découlent inexorablement de la subjectivité de l'interprétation par le juge des dispositions constitutionnelles."
Affirmer alors que le traitement jurisprudentiel du pluralisme est à géométrie variable, n'est-ce pas aller dans le sens d'une critique très embarrassante pour le Conseil constitutionnel ?
En fait, il faut considérer cette objection recevable seulement dans la mesure où l'objet de l'étude ne parviendrait pas à s'affranchir totalement des impasses théoriques (comme celle de la légitimité démocratique du Conseil) qui jalonnent son chemin.
En l'occurrence, appliquée au pluralisme, cette critique devient extrêmement grave, parce que par ailleurs, le Conseil semble lui-même tisser un lien très fort entre pluralisme et démocratie.
De fait, la question se situe sur le terrain miné de la légitimité du Conseil constitutionnel, et de sa jurisprudence au regard de la représentation classique de la démocratie. La critique récurrente du "gouvernement des juges" est donc plus que jamais opportune. Sur ce front, le Conseil doit donc faire montre de toute la prudence et l'audace qui le caractérisent depuis l'origine. La prudence parce que l'institution n'a pas la légitimité démocratique lui permettant de donner arbitrairement des leçons au législateur ; et l'audace parce que le thème du pluralisme est nécessairement cher au juge constitutionnel qui participe d'un "régime d'énonciation concurrentiel des normes".
Pourtant, l'objet de cette analyse du traitement jurisprudentiel du pluralisme par le Conseil constitutionnel s'attachera pour l'essentiel à faire ressortir des décisions la logique du travail du juge constitutionnel, et non pas à faire état des multiples querelles doctrinales qui concernent la justice constitutionnelle.
Une telle démarche permet alors de démontrer avec précision l'ampleur de la géométrie variable caractéristique du pluralisme dans la jurisprudence constitutionnelle et d'en tirer des enseignements sur la "méthode" du juge constitutionnel.
Dès l'analyse succinte des décisions traitant du pluralisme, l'idée d'une géométrie variable apparaît au travers de ses consécrations.
Si les dénominations du pluralisme sont variables - en fonction des thèmes considérés semble-t-il - les qualifications fluctuantes retenues par le juge laissent perplexes ; quant au rapport qui s'instaure entre pluralisme et démocratie, il ne déroge pas à ce constat de versatilité, puisqu'il passe de "condition" à "fondement" pour revenir à "condition".
Dans cette jurisprudence, le pluralisme paraît donc quelque peu insaisissable. Difficile en conséquence de parvenir à y déceler une définition du pluralisme... En revanche, le caractère polymorphe du concept s'impose comme une évidence !
Dès lors, dans le souci de préserver au concept toutes ses potentialités, la perspective d'une analyse du traitement jurisprudentiel du pluralisme invite à adopter une définition extensive de la notion. Comme le note Jean-Pierre BIZEAU, par son fondement constitutionnel, "le pluralisme réside dans la variété des opinions et des conduites" ; la définition du pluralisme qu'il semble pertinent de retenir est alors la suivante : dans un domaine donné, le pluralisme est la reconnaissance et/ou l'organisation de la coexistence d'éléments variés.
Cette acception du pluralisme permet d'élargir le spectre de la jurisprudence constitutionnelle relative au pluralisme. Ainsi, le sentiment de géométrie variable a vocation à s'amplifier.
En effet, si le Conseil constitutionnel se réfère explicitement au pluralisme quand les auteurs de la saisine l'y invitent - c'est-à-dire jusqu'ici en matière de communication - ou quand les circonstances paraissent l'imposer - c'est semble-t-il le cas en matière politique - n'y a-t-il pas d'autres domaines où implicitement cette fois, la jurisprudence constitutionnelle n'a d'autre dessein que la reconnaissance et/ou l'organisation de la coexistence d'éléments variés ?
Le cas échéant, cela signifierait que le Conseil fait aussi application du pluralisme implicitement. En conséquence, non seulement la géométrie variable de ce traitement jurisprudentiel se trouve dans les consécrations explicites, mais elle s'illustre encore par la possibilité de consécrations implicites du pluralisme.
Un seul exemple suffit à prouver que ça n'est pas une hypothèse d'école... Précisément, en matière scolaire, la jurisprudence constitutionnelle ne vise-t-elle pas essentiellement à préserver, et à organiser si besoin, la coexistence des enseignements publics et privés ?
Il faut donc admettre - quitte à le regretter si ce type de traitement jurisprudentiel dérange - que le pluralisme présente les traits d'une géométrie encore plus variable qu'il n'y paraît a priori !
Le juge agit-il ainsi par simple pragmatisme, ou est-ce au contraire une démarche volontaire?
Les consécrations implicites relèvent probablement de la première posture. En effet, d'une manière générale, le juge répond avant tout à une saisine ; en outre, il est tenu par les contingences des débats, essentiellement juridiques qui entourent les questions qui lui sont soumises. En d'autres termes, normalement, sans sollicitation explicite, le Conseil ne consacre pas expressément un principe.
Par contre s'agissant de l'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions consacrée en 1990 comme fondement de la démocratie, y avait-il justement lieu de parler d'une authentique sollicitation explicite ? En fait, le contexte politique pouvait-il seul justifier cette consécration ?
Autrement dit, en l'occurrence, le Conseil ne s'est-il pas affranchi de façon volontaire de son statut d'interprète, parmi d'autres, afin d'accorder une importance spécifique à un des aspects du pluralisme considéré - à raison peut-être - comme fondamental pour le régime politique ?
Dans l'affirmative, le débat sur la géométrie variable caractéristique du traitement jurisprudentiel du pluralisme "saute" d'un cran : il se déplace en effet de la consécration à la portée constitutionnelle conférée au pluralisme par le juge.
N'y-a-t-il pas des enseignements à tirer de ce constat redoublé de géométrie variable ?
Effectivement il semble que le juge confère au pluralisme une portée constitutionnelle à géométrie variable. Or, cela soulève de délicats problèmes théoriques sur le plan de la philosophie du droit émergeant par ailleurs de la jurisprudence constitutionnelle...
Comment résoudre ces difficultés ? Ou bien est-il possible de proposer une explication ?
La philosophie américaine de Ronald DWORKIN n'offre-t-elle pas un paradigme de réflexion novateur, permettant d'identifier le pluralisme à un principe d'interprétation, et d'envisager globalement le traitement jurisprudentiel du pluralisme dans la nécessaire cohérence de l'ordre juridique constitutionnel ?
Voilà semble-t-il une façon de renverser la problématique du traitement à géométrie variable caractérisant le pluralisme dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Il est proposé d'opérer ainsi un rapprochement - manifestement efficient - entre ce traitement jurisprudentiel et la méthode d'interprétation herculéenne, théorisée par DWORKIN.
Il s'agira donc d'envisager, au final, le Conseil constitutionnel sous les traits d'Hercule (figure du juge dworkinien), afin de tirer du traitement jurisprudentiel du pluralisme les enseignements d'une consécration à géométrie variable d'une part (CHAPITRE I.), puis d'une portée constitutionnelle à géométrie variable d'autre part (CHAPITRE II).
[...] Enfin, de quelle stratégie, propre au Conseil, faudrait-il avoir peur en présence d'un tel traitement jurisprudentiel ? Aucune de ces pistes de réflexion ne milite en faveur d'une critique légitime adressée au juge constitutionnel à raison de ce type de traitement jurisprudentiel, a fortiori s'agissant du pluralisme, puisqu'en l'occurrence, la question de l'insécurité juridique ne paraît pas pertinente. Dans cette perspective, l'essai d'explication par un rapprochement avec la théorie de DWORKIN n'est peut-être qu'un surplus ; il permet simplement de remettre de l'ordre dans cette quantité d'idées disparates conduisant à penser que l'attitude du juge n'est pas critiquable en soi. [...]
[...] Non écrit, le pluralisme des courants d'idées et d'opinions possède ainsi le premier attribut du principe supra-constitutionnel. Consacré par le juge comme "fondement de la démocratie", le pluralisme des courants d'idées et d'opinions devient, à l'instar de la Démocratie elle- même, une règle de premier rang. Enfin, à la base de l'expression du souverain, le pluralisme des courants d'idées et d'opinions ne mérite-t-il pas une protection qui bénéficie - par effet cliquet - directement au constituant lui-même? En ce sens, il n'y aurait peut être pas d'antinomie entre l'existence juridique d'un principe supérieur à la Constitution, et la reconnaissance constitutionnelle du pouvoir souverain du constituant. [...]
[...] D'une manière générale, la jurisprudence constitutionnelle n'a pas vocation à imposer des interprétations. Par conséquent, "lorsque la Constitution est susceptible de plusieurs lectures, la présence d'un accord général dans la communauté juridique et politique sur l'interprétation doit guider le juge constitutionnel". Parfois néanmoins, sur certains thèmes, ou bien il n'y a pas de réelle discussion au sein de la "Communauté des interprètes", ou bien cette discussion ne mène pas à un consensus. Si ces situations n'empêchent pas de relever la présence du pluralisme dans la jurisprudence constitutionnelle, elles légitiment en revanche l'évocation d'un pluralisme insoupçonné que la consécration implicite contribue à révéler. [...]
[...] Le "pluralisme des courants d'idées et d'opinions", une exigence constitutionnelle absolue Est-il encore nécessaire de rappeler la formule constitutionnelle à l'origine de cette réflexion sur la géométrie variable du traitement jurisprudentielle du pluralisme ? Cette formule qui fait dire à Dominique ROUSSEAU qu'en 1990, "le pluralisme devient le principe, au sens kantien du terme, de la démocratie". Au-delà de la formule empreinte de solennité, c'est l'ensemble du traitement jurisprudentiel du concept de pluralisme qui, entre 1986 et 1990, marque un net "changement qualificatif". D'un objectif de valeur constitutionnelle, le pluralisme devient une exigence. La force du droit constitutionnel, imprégné des nécessités de la chose publique, contraint désormais au respect du pluralisme. [...]
[...] Le "pluralisme des courants d'idées et d'opinions", face visible du principe démocratique Le Conseil constitutionnel n'a pas eu à se prononcer directement sur le principe démocratique. En réalité, ce principe qui n'est - à l'instar du pluralisme - ni un droit, ni une liberté, ne trouve pas, en conséquence, à s'exprimer au détour des textes législatifs courants. Pour reprendre l'expression de Dominique ROUSSEAU, ce principe tient aussi une "position à part et fondamentale". Cette position rend son usage délicat ; c'est pourquoi, bien qu'il s'agisse d'une disposition constitutionnelle écrite, le Conseil constitutionnel répugne manifestement à l'employer - il n'est qu'à demander aux services de la bibliothèque du Conseil la liste des décisions où le mot apparaît pour s'en convaincre Par contre, l'analyse des décisions constitutionnelles se référant à la démocratie semble indiquer que la présence du pluralisme appelle celle du principe démocratique (ou inversement). [...]
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