Prudente et sage, telles sont les qualificatifs qui caractérisent la position du juge administratif en ce 20ème siècle naissant. L'idée qui prédomine est qu'il ne sert à rien de prétendre donner des ordres à l'administration sans avoir les moyens de contrainte permettant d'assurer le respect de ces mêmes ordres. Il faut dire que cette autolimitation du juge administratif est conforté par le fait que la loi ne lui reconnaît aucune compétences en la matière. Dès lors, pour pallier l'inexécution des décisions de la juridiction administrative, inexécution liée à l'inertie voire à la mauvaise volonté manifeste de certaines autorités administratives, principalement locales, la doctrine propose la mise en jeu de la responsabilité personnelle du fonctionnaire à qui incombe le devoir d'exécuter la chose jugée et qui refuse sans motif légitime de le faire. L'affaire Fabrègues [ fournit une excellente illustration de cet état de fait. Il est question d'un garde-champêtre suspendu par dix arrêtés municipaux successifs qui n'avaient d'autre objectif que celui de permettre au maire d'exercer une vengeance personnelle.
Avec le temps les mentalités évoluent lentement et il apparaît souhaitable que le juge intervienne plus activement dans ce qu'à l'époque on appelait timidement l'effectivité des décisions. L'occasion est fournit par les affaires Bréart de Boisanger qui mettent en évidence la volonté de toute puissance d'une administration qui refuse de se plier à la chose jugée. En la circonstance, le Conseil d'Etat annule, en 1961, le décret par lequel le gouvernement avait prononcé en 1960 la révocation de l'administrateur de la Comédie Française. Ne voulant pas réintégrer l'administrateur dans son poste alors que selon la réglementation en vigueur, il avait été nommé pour six ans, le gouvernement prend un décret du 10 janvier 1962 qui modifie la réglementation en ce que la durée des fonctions de l'administrateur n'est pas précisée. En appliquant immédiatement la nouvelle disposition, le gouvernement met fin de nouveau aux fonctions de l'administrateur. Ce nouveau décret est annulé par le Conseil d'Etat qui considère que le motif déterminant était de permettre au gouvernement de faire échec à l'autorité de la chose jugée et qu'il est donc de ce fait entaché de détournement de pouvoir.
Dans la foulée, et par un décret du 30/07/1963, le Conseil d'Etat est doté d'une formation chargée de veiller à l'exécution des décisions des juridictions administratives. Cette formation dite Commission du Rapport deviendra Section du Rapport et des Etudes par un décret du 24/01/1985. La montée en puissance de la Commission du Rapport s'est faite de manière progressive. Dans un premier temps, elle est investit de pouvoirs de persuasion et non de contrainte. A l'usage, il est apparu cependant qu'il lui manquait une arme de nature à inquiéter l'administration lorsque qu'elle était mise en cause pour son inertie et son mauvais vouloir.
La loi du 16/07/1980 est venue combler ce vide en prévoyant qu'«en cas d'inexécution d'une décision rendue par une juridiction administrative, le Conseil d'Etat peut, même d'office, prononcer une astreinte contre les personnes morales de droit public pour assurer l'exécution de cette décision. » Cette loi prévoyait de surcroît une procédure de mandatement d'office , le paiement d'une condamnation pécuniaire sans ordonnancement administrative préalable ou encore la possibilité que les agents publics qui relèvent de la Cour de Discipline Budgétaire et qui aurait manqué à leurs obligations d'exécution soient déférés devant la dite Cour à la demande du créancier.
Ainsi, la réforme initiée en 1963, et poursuivie en 1980, a connu son achèvement par une loi du 08/02/1995 qui est venue mettre un terme définitif à cette longue tradition selon laquelle le juge administratif n'a pas le droit d'adresser des injonctions à l'administration. Face à ce justiciable puissant qu'est l'Etat se dresse désormais un juge administratif soucieux de l'effet réel des ses décisions et du droit effectif de ceux qui réclament justice. Pour reprendre cette longue expression de M. BERTHOUD : « rendre une décision de justice est bien. Pouvoir et savoir la rendre effective est mieux et garantit l'efficacité d‘un état de droit qui pourrait n'avoir qu'un aspect virtuel aux yeux des administrés si les illégalités de l'action administrative ou ses conséquences dommageables reconnues par le juge administratif ne devaient pas être sanctionnées et réparées».
[...] Mais tout juge ne doit-il pas être pénétré de la difficulté de sa tâche ? Bibliographie ( Ouvrages ( Généraux CHAPUS (René), Droit du contentieux administratif, 9ème éd., Montchrestien p. DEBBASCH (Charles), RICCI (Jean-Claude), Contentieux administratif, 6ème éd., Précis DALLOZ p. GOHIN (Olivier), Contentieux administratif, LITEC p. ( Spécialisés CHABANOL (Daniel), La pratique du contentieux administratif devant les tribunaux administratif et les cours administratives d'appel, 3ème éd., LITEC p. GUILLIEN (Raymond), VINCENT (Jean), Lexique des termes juridiques, 13ème éd., DALLOZ p. [...]
[...] 911-1 et L. 911-2 du Code de justice administrative art. L. 8-4 du Code des tribunaux administratifs et des Cours administrative d'Appel, devenu art. L. 911-4 du Code de justice administrative art. L. [...]
[...] 911-2 du Code de justice administrative ( ancien article L. 8-2 du Code des tribunaux administratifs et des Cours administratives d'Appel ) et l'article 6-1 de la loi du 16 juillet 1980 (qui concerne le ont instauré un mécanisme alternatif d'injonction : en fonction des données de l'espèce, tantôt le juge enjoint l'autorité compétente de prendre une mesure d'exécution déterminée qu'implique nécessairement la décision de justice rendue (exemple en cas d'annulation d'une sanction excluant un agent public, ordre de réintégrer cet agent dans ses fonctions à la date de son éviction et de reconstituer en conséquence sa carrière[13][ ; tantôt le juge se contente de signifier à l'autorité compétente qu'elle est tenue de réexaminer le dossier du requérant dans un délai déterminé ( par exemple, après avoir annulé un refus d'autorisation, le juge peut prescrire à l'administration, non pas de donner son autorisation, mais de procéder à une nouvelle instruction de la demande ; dans ce cas, le juge se borne à donner un délai à l'administration, sans lui indiquer ce qu'elle doit faire, au risque que naisse ensuite un nouveau contentieux si la nouvelle décision est identique au fond à celle qui a été prise La détermination entre la procédure de prescription de la mesure et celle de simple réexamen dépend de deux paramètres : le motif d'annulation de la décision et la nature de la compétence de l'administration après l'annulation du juge. [...]
[...] DREIFUSS (Muriel), BOMPARD (Alain), Du pouvoir comminatoire au pouvoir de sanction : la liquidation de l'astreinte A.J.D.A janvier 1998, pp 10. GABOLDE (Christian), Le juge administratif va-t-il nous gouverner ? propos de la loi du 8 février 1995), Ed. du Juris-Classeur, Droit Administratif, nov pp 1-2. GENTOT (Michel), L'exécution des décisions du Conseil d'Etat La Revue Administrative, 301, janv./fév pp 113-116. GUETTIER (Christophe), L'administration et l'exécution des décisions de justice A.J.D.A juillet / 20 août 1999 spécial, pp 66-71. GUETTIER (Christophe) et allii, L'exercice par le juge administratif de son pouvoir d'injonction R.F.D.A., juillet / août 1997, pp. [...]
[...] A la question posée par la Revue Administrative : Quel avenir pour l'administration française ? il est donc possible de répondre, avec la marge d'erreur que comporte toute prévision, que le juge administratif sera désormais plus apte à imposer à l'administration les cadres juridiques sans lesquels les citoyens - et les non citoyens risquent d'être en proie à l'arbitraire. Et peut-on alors raisonnablement espérer l'administration, ou plutôt les administrations, auront admis définitivement et sans arrière pensée que l'intérêt général commande la stricte exécution de la chose jugée. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture