« Voici qu'arrive le jour de l'audience. Les parties s'en rapportent en général à leur dossier. Brusquement un personnage se lève, discourt pendant vingt minutes, défend une position étayée par de solides références jurisprudentielles, conclut et sollicite du tribunal qu'il prenne telle décision et qu'il tranche le litige dans tel sens» . En d'autres termes le commissaire du gouvernement près le conseil d'Etat rend ses conclusions.
L'instance devant le Conseil d'Etat débute par la saisine du juge administratif. Le demandeur va déterminer les éléments constitutifs de l'instance. Il ne peut se contenter de soumettre au juge une situation de fait. Il doit formuler une argumentation juridique et s'efforcer de faire sa demande en droit. Pour cela il déterminera l'objet de la requête c'est à dire qu'il formulera ses prétentions, mais doit également à l'appui de celles ci dégager les moyens de fait et de droit qui la justifie.
L'audience est la phase intermédiaire entre l'instruction d'une requête et le jugement, le commissaire du gouvernement rend ses conclusions à la fin de l'audience.
A l'audience le commissaire du gouvernement a pour rôle « d'exposer au Conseil les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur toutes les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction auquel il appartient » . Les commissaires du gouvernement présentent leur solution à un cas d'espèce plus qu'ils ne sollicitent le tribunal.
La Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) est invocable par les justiciables à l'appui de toutes les formes de recours. Ils peuvent s'en prévaloir devant le Conseil d'Etat à l'appui d'un recours dirigé contre un acte réglementaire, au soutien d'une demande tendant à la modification, à l'abrogation ou à l'édiction d'un texte réglementaire, voire au soutien de la contestation par voie d'exception de la validité d'une norme interne, de nature réglementaire législative ou jurisprudentielle. Le Conseil d'Etat a été saisi pendant l'année 1999 de 862 requêtes relatives à la violation d'un droit reconnus par cette convention. Le fait qu'en 1999 le Conseil d'Etat ait été saisi d'autant de requêtes est révélateur de l'intérêt que porte les justiciables à la CEDH et du fait que les prétentions des demandeurs ont aujourd'hui des chances d'aboutir.
L'intérêt porté aux commissaires du gouvernement s'est focalisé sur le respect du contradictoire et plus largement sur le respect des dispositions de la CEDH, l'importance de leurs conclusions en matière de prise en compte de cette norme par le Conseil d'Etat peut être un point de vue permettant de faire passer les commissaires d'objet à acteurs.
Les conclusions pendant lesquelles les commissaires du gouvernement sont amenés à envisager l'application de la CEDH sont des conclusions pendant lesquelles les commissaires du gouvernement remplissent pleinement leur mission mais qui sont, du fait de la norme abordée, d'une grande particularité.
Pour pouvoir saisir en quoi les commissaires du gouvernement peuvent par leurs conclusions émettre un avis qui peut faire évoluer la jurisprudence du Conseil d'Etat dans le sens d'une plus grande prise en compte de la CEDH, il faut comprendre le rôle des commissaires du gouvernement.
M. Richard, avocat, dresse un portrait caricatural des commissaires du gouvernement mais la théorie des apparences est aussi source de droit .
La théorie des apparences est un des motifs que la Cour Européenne a développés dans l'arrêt « Krees contre France » en date du 7 juin 2001, pour condamner la France pour violation de l'article 6§1 du fait de la participation des commissaires du gouvernement au délibéré de l'instance pendant laquelle il rend ses conclusions. (...)
[...] Aucune des stipulations de la CEDH ne déroge à ce principe. Les arguments développés seront repris par de nombreux commissaires du gouvernement qui auront à trancher cette question. M. Arrighi de Casanova met l'accent, dans le même ordre d'idée, sur le fait que les interprétations de la CEDH sont précédées de longs développements destinés à situer l'affaire dans son contexte particulier »[143]ce qui le conforte dans l'idée d'une autorité de la chose interprétée dans le cadre du litige dans lequel elle est émise. [...]
[...] Dès lors, conclut-il, on voit mal ce qui interdirait d'élargir le champ des mesures faisant grief aux deux domaines que constituent l'Armée et les établissements pénitentiaires La portée des solutions est minimisée pour favoriser une étude du droit européen, qui prend place directement ensuite dans les développements. L'influence du droit européen sera plus facilement acceptée dans le cadre d'une décision qui apparaît comme étant de portée moindre, ou qui est déjà justifié dans l'ordre interne. Le revirement jurisprudentiel est décrit comme étant le fruit d'une évolution. Le changement n'est pas radical du fait de l'applicabilité du droit européen. Moins le changement est brutal, plus facilement il sera accepté. [...]
[...] Plus la solution proposée aura un impact important sur le contentieux, moins les commissaires du gouvernement pourront la justifier exclusivement sur la base du respect des dispositions du droit européen, même si c'est en premier lieu cet élément qui a conditionné la prise de position du commissaire. Il est un facteur qui conforte un changement amorcé par la juridiction suprême et dont elle a eu l'initiative. Le système de protection européen des droits de l'homme n'est plus appréhendé sous un angle contraignant. Les développements relatifs à la prise en compte des dispositions de la CEDH succèdent aux développements relatifs au changement entamé et viennent en confirmer la nécessité. Une solution n'est jamais envisagée comme exclusivement basée sur le respect du droit européen . [...]
[...] Selon la Cour ni la lettre, ni l'esprit de l'article n'empêche de renoncer à la publicité des débats de son plein gré, de manière expresse ou tacite. Cette renonciation ne doit se heurter à aucun intérêt public important La Cour admet expressément que le fait pour le plaideur de ne pas réclamer de publicité vaut renonciation. Il va de soi que toutes ces précisions ne figurent pas à l'article et sont le fruit de l'interprétation de la Cour Européenne. Elles seront à la base de la solution proposée par le commissaire qui leur confère l'autorité de la chose interprétée puisqu'elles ont de fait la même valeur que le texte de la CEDH. [...]
[...] Arrighi de Casanova dans les conclusions sous l'arrêt SARL Auto industrie Meric si certains ajustements ne sont pas à exclure, la reconnaissance de l'applicabilité de l'article 6 au contentieux des sanctions fiscales n'introduit aucun bouleversement dans le droit français Les commissaires du gouvernement mettent l'accent sur le fait que la Cour n'impose pas de principes puisqu'ils existent en droit interne et que l'applicabilité d'une disposition est une solution logique puisqu'elle est l'aboutissement d'une évolution jurisprudentielle dont les conseillers d'Etat ont permis l'émergence. La jurisprudence de la Cour européenne, en ce qu'elle interprète les dispositions de la CEDH, pourrait être un facteur de réduction du pouvoir d'interprétation des juges administratifs. Il n'en est rien, argument important, les commissaires du gouvernement insistent sur l'absence d'autorité juridique de la chose interprétée. [...]
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