Si le rôle du juge administratif est de réguler les pouvoirs de l'administration en garantissant sa soumission au droit, dans le but de concilier les intérêts de celle-ci avec ceux des administrés, la juridiction administrative n'en est pas moins exempte de limitations.
Mise en exergue par Pierre Delvolvé en 1988 lors du colloque-Conseil constitutionnel et Conseil d'État, la principale limite repose sur l'interdiction pour le juge de contrôler l'opportunité des décisions administratives. C'est ainsi que s'exprimant sur le sujet « existe-t-il un contrôle de l'opportunité ? », le Professeur Delvolvé a exposé que s'« il n'y a jamais de contrôle de l'opportunité », en revanche « il y a toujours de l'opportunité dans le contrôle ». Dans le même sens, René Chapus résume ainsi les limites du contrôle exercé par le juge administratif : « finalement, il n'y a jamais de contrôle que de la légalité ».
Apparaît ici nettement l'opposition entre opportunité et légalité : alors que la légalité, objective, désigne la conformité d'un acte aux règles qui s'imposent à son auteur, l'opportunité mobilise l'ensemble des considérations subjectives comme l'intérêt, l'utilité ou la justice, prises en considération par une autorité pour rendre une décision ou un avis. L'opportunité, appliquée à l'administration, renvoie au pouvoir discrétionnaire dont elle dispose dans sa prise de décision ; ainsi, quand plusieurs choix s'offrent à elle l'administration pourra en retenir un sans autres critères que celui de sa volonté, dans la mesure où ils respectent tous la Loi.
[...] Enfin, quand le juge choisit de passer d'un contrôle restreint à un contrôle normal, ne condamne-t-il pas l'inopportunité des décisions passées de l'administration ? Par exemple, en ce qui concerne le contentieux des reconduites à la frontière, qui repose sur un pouvoir discrétionnaire de l'administration, le juge mettra en œuvre un contrôle normal dès lors que sont en jeu des libertés fondamentales reconnues par la CEDH, et en particulier le droit de mener une vie de famille normale (article 8 de la CEDH). [...]
[...] Seul un recours administratif pourra être engagé. L'immixtion du juge dans le contrôle de l'opportunité en ferait un juge- administrateur, situation prohibée par l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790. En effet, avec un tel pouvoir, le juge se substituerait à l'administration et la séparation des pouvoirs exécutif et législatif ne serait plus qu'une fiction. Le juge a donc aménagé son contrôle afin de respecter ce domaine réservé de l'administration tout en assurant l'application du principe de légalité. [...]
[...] Comment ne pas considérer un tel contrôle comme une vérification de l'opportunité d'une décision administrative ? Si la décision est jugée comme opportune, elle sera alors légale, et inversement. Si le juge ne cherche pas, en toute vraisemblance, à se substituer à l'administration, il semble, paradoxalement, qu'il doive contrôler l'opportunité de ses décisions pour faire respecter le principe de légalité et ainsi poursuivre l'objectif qui lui a été assigné (voir dans ce sens : TC juin 1998 Préfet de la Guadeloupe et CE février 1919, Dames Dol et Laurent). [...]
[...] Même si le juge doit apprécier les litiges qui lui sont soumis dans le respect du bloc de légalité, les Lois étant parfois vagues, imprécises et très générales, il arrive que plusieurs issues à un litige puissent être légalement envisageables. Dans ce cas, il ne reste au juge qu'à choisir la meilleure des solutions, et donc à laisser une place à l'opportunité dans le contrôle, tout en respectant la légalité. L'interprétation, et donc l'opportunité dans le contrôle, semble inévitable là où la Loi laisse une brèche. [...]
[...] Cette opportunité dans le jugement est d'autant plus frappante que le juge administratif choisit le champ comme l'intensité de son contrôle. En effet, si en théorie le degré de contrôle dépend de l'étendue du pouvoir discrétionnaire laissé à l'administration, en pratique il est plus fixé par le juge que par le pouvoir de l'administration. Comme nous l'avons dit, le contrôle normal est plus approfondi que le contrôle restreint en ce que le juge contrôle l'appréciation juridique des faits, c'est-à-dire la qualification juridique des faits et l'adaptation de la mesure décidée aux faits. [...]
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