Le juge administratif « ne cesse de déclarer la lutte contre l'essor de l'insécurité juridique » : le professeur Molfessis et le Conseiller d'Etat de Clausade ont ainsi, dans un article paru dans les Echos le 15 mars 2006, traduit la volonté du Conseil d'Etat, depuis quelque temps, de lutter contre la « précarité juridique ». Cette « préoccupation sécuritaire » se heurte nécessairement à un autre principe fondamental du droit administratif, traditionnel voire fondateur, à savoir le principe de légalité. Le point de rencontre le plus délicat est constitué par la difficile question du retrait des actes administratifs individuels.
La décision individuelle est un acte juridique dont les effets sont personnels et individuels ou collectifs. Cette catégorie ne se caractérise pas quantitativement, mais qualitativement : un acte est individuel, même s'il concerne un grand nombre d'individus (cf. le résultat des concours administratifs). Parfois, ce n'est pas le sujet de droit qui est nommément désigné, mais un élément de son patrimoine (cf. le permis de construire).
« Le retrait d'un acte consiste dans le fait de la suppression de cet acte par [une autorité administrative] de telle sorte que l'acte est censé n'avoir jamais existé », selon la définition du doyen Bonnard. C'est donc une mesure radicale, dans le sens où elle vaut tant pour l'avenir que pour le passé : la décision disparaît rétroactivement. Ses effets antérieurs disparaissent et l'acte est réputé n'avoir jamais existé. On ne s'attachera ainsi qu'au retrait stricto sensu, c'est-à-dire à la décision qui consiste à faire rétroactivement disparaître l'acte litigieux de l'ordonnancement juridique, par distinction d'avec l'abrogation, qui consiste à faire disparaître pour l'avenir l'acte illégal, sans remettre en cause ses effets passés.
Les conséquences du retrait sont telles, notamment lorsqu'il entraîne la remise en cause de droits acquis par des sujets juridiques, que le juge administratif a voulu les limiter en construisant un équilibre subtil de règles relatives au retrait des actes administratifs individuels. Le juge combine trois distinctions : acte légal, acte illégal ; acte créateur de droits, acte non créateur de droits ; acte exprès, décision implicite.
Initialement, en 1922, le Conseil d'Etat avait élaboré un équilibre, à travers l'arrêt Dame Cachet, par lequel l'administration pouvait retirer les actes créateurs de droits, mais seulement lorsqu'ils étaient illégaux et tant qu'ils n'étaient pas définitifs (c'est-à-dire contestables par la voie du recours contentieux). Cette jurisprudence a évolué dans les années 1960, de manière plutôt favorable au respect de la légalité (arrêts Ville de Bagneux de 1966 et Eve de 1969, sur les décisions implicites d'acceptation), avant de se heurter à l'évolution des esprits. Le législateur a ainsi décidé, par la loi du 12 avril 2000, de réformer le régime du retrait des décisions implicites d'acceptation en énonçant qu'un tel retrait n'est possible que durant le délai de recours contentieux, pendant un délai de deux mois si aucune publicité ne leur a été donnée ou enfin dans le cadre d'une instance contentieuse.
Le Conseil d'Etat a également estimé nécessaire de réformer le régime du retrait des décisions explicites illégales par l'arrêt Mme de Laubier de 1997 et surtout l'arrêt Ternon du 26 octobre 2001. Cet arrêt était unanimement attendu par la doctrine ; pour autant est-il réellement satisfaisant ?
La volonté largement exprimée de trouver un équilibre plus conforme au respect des situations individuelles acquises, dans l'arbitrage entre sécurité juridique et légalité a entraîné une modulation des délais, ainsi qu'une nouvelle définition de la frontière séparant les différentes catégories d'actes administratifs. Comment cette évolution a-t-elle été menée ? N'a-t-elle pas entraîné un déséquilibre excessif, à l'opposé du déséquilibre initial ?
Pour prendre la mesure de cette question devenue très ardue, il convient de s'attacher d'abord au compromis initial qui a régi le régime du retraits des actes administratifs individuels durant la majeure partie du siècle dernier (I), avant de se pencher ultérieurement sur l'inévitable, mais probablement nécessaire complexification récente de ce régime (II).
[...] Conclusion Les principes de sécurité juridique et de stabilité juridique, partagés entre le droit communautaire et le droit national poussent le Conseil d'Etat comme la Cour de cassation à accueillir plus largement les préoccupations de protection des droits acquis L'administration voit naturellement se réduire la marge de manœuvre dont elle bénéficiait traditionnellement. Cela se traduit en particulier dans le régime du retrait des actes administratifs. Mais il ne va de même dans les autres Etats membres, de sorte qu'une réflexion comparative mériterait d'être conduite dans le double but d'harmoniser les règles (deux entreprises en concurrence dans deux Etats différents devraient se trouver placées dans la même situation) et de les simplifier, tout en les stabilisant. [...]
[...] N'a-t-elle pas entraîné un déséquilibre excessif, à l'opposé du déséquilibre initial ? Pour prendre la mesure de cette question devenue très ardue, il convient de s'attacher d'abord au compromis initial qui a régi le régime du retraits des actes administratifs individuels durant la majeure partie du siècle dernier avant de se pencher ultérieurement sur l'inévitable, mais probablement nécessaire complexification récente de ce régime (II). I Une règle simple mais imparfaite : le compromis de la jurisprudence Dame Cachet Il est clair qu'un acte légal et créateur de droits ne peut être retiré. [...]
[...] Le législateur a ainsi décidé, par la loi du 12 avril 2000, de réformer le régime du retrait des décisions implicites d'acceptation en énonçant qu'un tel retrait n'est possible que durant le délai de recours contentieux, pendant un délai de deux mois si aucune publicité ne leur a été donnée ou enfin dans le cadre d'une instance contentieuse. Le Conseil d'Etat a également estimé nécessaire de réformer le régime du retrait des décisions explicites illégales par l'arrêt Mme de Laubier de 1997 et surtout l'arrêt Ternon du 26 octobre 2001. Cet arrêt était unanimement attendu par la doctrine ; pour autant est-il réellement satisfaisant ? [...]
[...] La jurisprudence Dame Cachet ne soumet donc pas leur retrait à leur caractère définitif. Ils sont susceptibles de retrait à tout moment, au moins s'ils sont illégaux. C'est même une obligation pour l'administration. Pour cette raison, lorsqu'un acte individuel a été annulé au contentieux pour un motif tiré de l'illégalité de l'acte réglementaire sur lequel il était fondé, l'administration est tenue de faire droit à toute demande identique portant sur des actes non créateurs de droits, même si le délai de recours est expiré (décret du 28 novembre 1983). [...]
[...] Dès lors, il lui était possible de rendre l'arrêt Ternon. Abandonnant définitivement le dispositif antérieur, le Conseil d'Etat décide de dissocier délai de retrait et délai de recours. Cette décision prétorienne consacre donc un délai maximal de quatre mois : l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision Un ajustement favorable à la stabilité juridique La jurisprudence Ternon ne révolutionne pas la jurisprudence antérieure. [...]
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