Le privilège du préalable, formule énoncée par Maurice Hauriou (note sur CE, 30 mai 1913, Préfet de l'Eure), désigne une prérogative de puissance publique inhérente à l'action administrative.
En vertu de ce privilège également appelé « procédure d'action directe », les actes édictés par l'administration revêtent selon Maurice Hauriou l'« autorité de la chose décidée ». L'administration dispose de la capacité d'édicter des actes sans requérir le consentement des administrés ni l'autorisation du juge. Celle-ci est tenue d'exercer elle-même ses pouvoirs, « l'administration est en principe irrecevable à demander au juge le prononcé des mesures qu'elle a le pouvoir de décider » (CE, 30 mai 1913, Préfet de l'Eure).
[...] Cette procédure permet de suspendre l'exécution de l'acte jusqu'à ce que le juge statue sur la requête au fond. Le juge opère en outre un contrôle rigoureux sur l'existence de l'urgence, dans le but de prémunir l'administration d'une paralysie systématique de son action. À l'expiration des délais de recours contentieux, l'acte administratif unilatéral peut toujours faire l'objet d'une contestation par le biais de l'exception d'illégalité, qui souligne elle aussi l'absence de caractère irréfragable de l'acte. Bien que l'acte soit devenu définitif, l'exception d'illégalité permet au requérant de faire constater son illégalité et d'écarter son application. [...]
[...] Le contentieux contractuel en constitue une illustration, où les deux parties bénéficient de ce privilège : le fait que le cocontractant soit une personne publique ne prive pas l'administration de l'usage de ce privilège (CE mars 1904, ville de Toulouse, Lebon p ; CE nov Cne Ailloncourt, Lebon p. 1020). Toutefois, ce privilège ne peut être appliqué qu'en vertu du principe hiérarchique. Il ne produit pas d'effet entre deux autorités administratives de même ordre, ou lorsqu'une autorité exerce un simple contrôle administratif sur une autre, comme l'exemple de l'État envers les collectivités locales. II. [...]
[...] Par conséquent, une décision administrative continue de produire des effets jusqu'à ce que le juge constate son illégalité. Comme le rappelle Maurice Hauriou, la vraie dérogation au droit commun est que l'intéressé est mis dans la nécessité d'attaquer, de prendre le rôle de demandeur, et cela dans un délai très bref. La charge de la preuve de l'illégalité de l'acte repose de fait sur le requérant, en vertu de la règle de procédure actori incubit probatio La preuve incombe au demandeur Il convient de noter que la puissance publique crée des situations de droit qui seront opposables à tous et invocables par tous et qu'ainsi la procédure par décision exécutoire est un mode de création de situations juridiques Ainsi, comme le rappelle Bertrand Seiller, la soumission de l'administration au droit est donc concrètement tributaire de la détermination des administrés En ce sens, la Cour de cassation a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC portant sur le privilège du préalable et l'exécution d'office des personnes morales de droit public : leur exercice n'emporte pas d'atteintes substantielles au droit de propriété dont la protection constitutionnelle n'implique pas une intervention préalable du juge avant toute mesure susceptible de porter atteinte à ce droit (Cass., 2e chambre civile, arrêt 11- 40.060 du 12 octobre 2011). [...]
[...] Ternon). L'affirmation du principe de sécurité juridique par le Conseil d'État contribue de même à encadrer le privilège du préalable, puisqu'« il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle (CE mars 2006, Société KPMG). Ainsi, le développement des possibilités offertes aux justiciables de contester les décisions administratives s'inscrit dans une logique de conciliation entre les impératifs de bonne administration, de continuité du service public et de respect des exigences de la légalité. [...]
[...] L'administration est de même tenue de respecter les normes qu'elle a elle- même édictées, en vertu du principe tu patere legem quam ipse fecisti Subis les conséquences de ta propre loi Les autorités administratives sont tenues de tirer les conséquences légales de leurs actes tant qu'il n'y a pas été mis fin (CE juillet 2006, req. 271244, Mme Adama M.). Cette obligation vaut également à l'égard des décisions obtenues de manière frauduleuse, lesquelles ne créent aucun droit au profit des intéressés (CE novembre 2002, req. 223027, Assistance publique Hôpitaux de Marseille). Le privilège du préalable peut également être appliqué dans le cadre des relations entre deux personnes morales de droit public. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture