L'existence même d'un pouvoir normatif du juge s'inscrit à contrario de la tradition politique et juridique française au sein de laquelle le rôle du juge a pendant longtemps été très restreint. En effet la tradition révolutionnaire qui par la suite a inspiré la législation du Code civil de 1804 s'exprime en réaction aux abus des Parlements de l'Ancien Régime au sein desquels régnaient l'arbitraire, comme en témoigne l'adage : « Dieu nous garde de l'équité des Parlements ». Ainsi le rôle néfaste des Parlements demeurant dans l'esprit des constituants révolutionnaires, le juge voit ses compétences considérablement restreintes.
La séparation des pouvoirs et la prééminence de la loi consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 viennent confirmer cette conception traditionnelle de la fonction juridictionnelle. L'article 6 affirme : « la loi est l'expression de la volonté générale », ainsi, le juge en vertu de la séparation des pouvoirs et faute de légitimité démocratique ne peut être législateur. La délimitation des pouvoirs du juge s'est dès lors doublée de l'accroissement de l'autorité de la loi avec notamment la mise en place d'un système juridique légicentriste sous les IIIe et IVe Républiques.
[...] Dans un second temps, la découverte par le juge administratif de certains principes généraux du droit va venir accroitre les missions de l'administration et la protection des administrés. C'est dans ce cadre que l'arrêt fondateur CE mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier est intervenu, imposant le respect des droits de la défense des administrés, il a été suivi de toute une série : le principe selon lequel sauf texte contraire le recours en annulation peut toujours être formé (CE février 1950, Dame Lamotte), le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE juin 1948, Sté Journal l'Aurore), le principe général de continuité des services publics (CE juillet 1950, Dehaene) ou encore l'obligation de ne pas appliquer un règlement illégal ou de l'abroger (CE février 1989, Cie Alitalia). [...]
[...] C'est notamment ce à quoi le juge administratif semble s'être plié dans l'arrêt du 11 mai 2004, Association AC , par lequel le Conseil d'État en affirmant l'existence d'une dérogation au principe de rétroactivité des annulations contentieuses s'est reconnu un pouvoir de moduler dans le temps les effets de cette annulation. Il ressort néanmoins, comme a pu le démontrer le professeur Rivero, une inadaptation du juge à la fonction normative puisqu'il exerce cette fonction sans pouvoir respecter le principe général de non-rétroactivité qui régit toute activité normative. Ceci venant résolument remettre en cause la portée normatrice de la jurisprudence administrative et du pouvoir de création du juge. [...]
[...] C'est effectivement ce qui ressort du Discours préliminaire au premier projet de Code civil de Portalis qui affirme qu' il faut donc laisser au juge la faculté de suppléer à la loi par les lumières naturelles de la droiture et du bon sens et qu'ainsi le juge ait le droit d'interpréter les lois et d'y suppléer Dès lors, cette habilitation à interpréter le texte pour combler les lacunes de la loi va fonder la fonction de juger : pour statuer le juge va se fonder sur un texte qu'il interprète ou sur une disposition qu'aucun écrit ne contient directement, mais qu'il aura préalablement dégagé au cours d'une affaire de même espèce. La fonction jurisprudentielle va se trouver inhérente à la fonction de juger et comme le précise R. Chapus il faudra distinguer entre les jugements qui font la jurisprudence et les jugements d'application d'une jurisprudence existante ou du droit écrit Ce sont précisément ces jugements qui font la jurisprudence qui vont être l'illustration d'un pouvoir normatif du juge, qui en donnant à la fois une solution à un litige va édicter une norme. [...]
[...] Chapus comme étant les fleurons de l'œuvre jurisprudentielle du Conseil d'État c'est-à-dire les principes généraux du droit dont l'origine est à la source même du pouvoir créateur de droit du juge administratif. Ainsi on s'intéressera à leur mode de création, leur valeur et leur portée qui pourra être rattaché directement à la fonction de juger et au respect de cette fonction cependant nous serons amenés à nous interroger sur la légitimité d'un tel pouvoir et sur les critiques qui peuvent faire écho à cette puissance créatrice du juge (II). [...]
[...] Ainsi, son absence d'intervention en droit administratif peut être considérée comme exprimant un certain accord vis-à- vis de l'existence du droit jurisprudentiel. En effet on peut être amené à penser que si les lois nécessaires avaient été faites, le juge administratif n'aurait pas eu à élaborer lui-même certains principes généraux du droit ou encore les grandes notions qui régissent le droit administratif. Dès lors, malgré le caractère contestable que peut présenter un tel pouvoir notamment vis-à-vis des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et des principes régissant les devoirs des juges, il semble qu'on ne puisse contester de manière globale l'utilité des principes non écrits. [...]
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