Les problématiques en droit administratif français sont soumises à un processus cyclique qui remet périodiquement des « notions-matrices » sur le devant de la scène doctrinale. Cette chronicité dans les thématiques juridiques repose sur le fait que les concepts-clefs du droit administratif, tels que travail public, domaine public, service public ou encore ouvrage public, étant conçus comme des outils justifiant l'application de règles particulières s'adaptent à la pratique, à l'idéologie politique ambiante et sont donc peu enclins à toute sanctuarisation théorique.
Il est dans l'air du temps administratif de s'interroger sur la notion d'ouvrage public depuis que la formation consultative du Conseil d'Etat, dans un avis contentieux Adelee du 11 juillet 2001, a noté que les ouvrages de France Télécom n'ont en principe plus la qualité d'ouvrages publics compte tenu de la transformation de l'exploitant public en société nationale de droit privé. L'acuité de cette question s'est confirmée en 2005 lorsque le législateur a cru bon de préciser dans la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports que les ouvrages d'Aéroports de Paris affectés au service publics demeureront des ouvrages publics.
A ce propos, M. le Professeur Fabrice Melleray dans un article intitulé « Incertitudes sur la notion d'ouvrage public » s'intéresse au rôle du critère organique dans la définition de l'ouvrage public. Fort justement cet auteur estime que l'article 2 de la loi du 20 avril 2005 selon lequel « les ouvrages appartenant à la société Aéroports de Paris et affectés au service public aéroportuaire sont des ouvrages publics » semble inutile car redondant par rapport à la jurisprudence antérieure qui prône une conception fonctionnelle de la notion d'ouvrage public par la réunion de trois critères avérés de définition (un ouvrage public est d'une part un immeuble, d'autre part le fruit de l'aménagement, d'un travail de l'homme et enfin un ouvrage public doit être affecté par son usage, aux besoins du public, ou à ceux d'un service public, ou encore à un but d'intérêt général). Pour autant, M. le Professeur Melleray déduit de cette précision législative que la notion d'ouvrage public est empreinte d'incertitudes quant à ses éléments de définition.
En effet, si ces trois éléments sont qualifiés de conditions constantes de la définition de l'ouvrage public, l'intervention du Conseil d'Etat en 2001 et celle du législateur en 2005 laissent à penser que « la jurisprudence affirmant que des ouvrages appartenant à une personne privée et affectés à une destination d'intérêt général (et qui ne sont pas incorporés à un ouvrage public) sont des ouvrages publics peut paraître frappée d'obsolescence ».
Aborder la question de la permanence du critère organique dans les éléments de définition de l'ouvrage public revient aussi à s'interroger sur la compréhension du concept de propriété publique, qui oscille également entre approche organique et approche fonctionnelle selon la pertinence attribuée à la thèse de l'extériorité de l'affectation dans la reconnaissance de la propriété publique.
Notre point de vue est que le droit positif ne traduit absolument pas une quelconque résurgence du critère organique dans la définition de l'ouvrage public. A contrario nous estimons même que celui-ci a toujours été lié à la notion d'ouvrage public mais sous des aspects «mutants », ce qui tend à minorer l'intérêt du diptyque ouvrage public/domaine public. Cette perception du critère organique doit s'inscrire dans une réflexion plus large portant sur la place de celui-ci dans le droit administratif, mais le lieu n'est pas ici à une étude systématique et générale concernant l'appréhension dudit critère. Néanmoins, il nous paraît important de noter que selon nous, la doctrine a trop facilement constaté le décès du critère organique alors que ce sont plutôt certaines manifestations de son existence que son existence, elle-même, qui ont périclité. La notion de critère organique n'est qu'un mot, l'essentiel réside dans l'interaction que ce terme implique entre la personne publique et la personne privée. Ainsi la prégnance de la personne publique sur la sphère de l'agent privé collaborant à la réalisation d'une mission d'intérêt général et/ou de service public est fonction de ce que l'affectation requiert.
Tel « un aveugle qui aimait les oiseaux, pas pour leur chant mais pour leurs couleurs », l'appréciation de l'empreinte de la personne publique ne doit pas être guidée uniquement par la simple mélodie de la puissance publique, mais suppose la recherche d'une émanation concrète de cette harmonique exorbitante de droit commun.
Par conséquent, l'identification pleine et entière des différentes dimensions du critère de la propriété publique dans la notion d'ouvrage public suppose de délaisser toute considération d'ordre formel pour privilégier l'analyse substantielle, seule méthode susceptible de corroborer l'hypothèse d'une permanence du critère organique dans la définition de l'ouvrage public par la consécration du concept de propriété publique en démembrement (I), du concept de propriété publique en sursis (II) et enfin du concept de propriété publique en acte (III).
[...] Lavialle, Délégation de service public et domanialité public, DA février 1998, chron. p ; S. Bouju, La concession de service public : critique d'une banalisation annoncée, Thèse Paris X 1999, p et s. J. Dufau, Les entreprises publiques, éd. De l'Actualité Juridique p et s. J-M. Auby, L'ouvrage public, CJEG 1961, p Cass. civ juillet 1918, D. [...]
[...] Pierré-Caps notamment lorsqu'il écrivait d'une part que l'ouvrage, propriété du concessionnaire, est certes un moyen de l'exécution du service public concédé, mais il n'acquiert la qualité d'ouvrage public que parce qu'il s'intègre à la finalité du service public concédé, elle-même déterminée par l'autorité concédante Ce concept de propriété publique en sursis ou en sommeil est aussi en filiation directe avec les propos de M. le Professeur S. Pierré-Caps au terme desquels le critère organique est lui-même susceptible d'une appréhension souple, dont le rattachement à la propriété publique ne peut à lui seul exclusivement rendre compte. [...]
[...] Ce concept de propriété économique est parfaitement illustré dans l'hypothèse des biens de retour, qui sont la propriété ab initio de la personne publique[25], mais qui sur le plan fiscal et comptable figurent au bilan du concessionnaire[26]. Ceci explique aussi que le cocontractant de l'Administration, en sa qualité de propriétaire économique des ouvrages publics, prenne à sa charge les impositions dues par l'autorité concédante, propriétaire juridique des biens de retour[27]. Cette solution permet de circonscrire avec netteté le rôle récurrent du critère organique dans la définition de l'ouvrage public. [...]
[...] préc., p R. Chapus, Droit administratif, tome Montchrestien, 15e éd 677. Pour celui-ci, les éléments variables se dégagent d'une triple confrontation : ouvrage public et travail public, ouvrage public et domaine public, ouvrage public et propriété publique. F. Melleray, Incertitudes sur la notion d'ouvrage public, chron. préc., p P. Yolka, La propriété publique, éléments pour une théorie, LGDJ 1997, tome 191. Op. cit., p et s. [...]
[...] Braconnier, Mobilier urbain, vive le critère de l'objet, AJDA 2006, Tribune, p et v. CE Ass novembre 2005, Société J-C. Decaux, req. N°247298 et 247299. Cass. civ. 1er juin 1980, Société anonyme Avenir Publicité c. Société anonyme les Mobiliers Urbains pour la publicité et l'information, dite S.O.M.U.P.I., JCP 1980.II.19479. P. [...]
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