« Il ne faut pas se dissimuler que, depuis quelque temps, le Conseil d'Etat se trouve à l'étroit dans ses pouvoirs d'annulation que lui confère le recours pour excès de pouvoir. » Ce que remarquait Hauriou dans sa note sous l'arrêt Daraux au début du XIXe siècle pourrait facilement illustrer l'évolution que le juge administratif a donnée à ses pouvoirs au tournant de notre siècle.
Dans les faits, l'évolution du pouvoir d'annulation touche à la fois le juge du recours pour excès de pouvoir, dont c'est la seule arme dans sa charge d'épuration du droit des actes irréguliers mais aussi dans une moindre mesure le juge du plein contentieux qui dispose également d'autres pouvoirs.
Or, traditionnellement, l'annulation d'un acte administratif est nécessairement rétroactive car, comme affirmé dans l'arrêt Rodieres, « les actes annulés pour excès de pouvoirs sont réputés n'être jamais intervenus ». Cette rétroactivité de l'annulation a une double origine, historique et juridique. Historiquement d'abord, elle est la lointaine héritière de la justice retenue qui assimilait l'annulation par le juge à un retrait par une autorité hiérarchique. Juridiquement ensuite, la rétroactivité constitue l'application logique du principe de légalité ; si un acte est illégal, il doit être annulé rétroactivement à la date d'apparition de cette illégalité.
Ainsi, comme pouvait le remarquer Gaston Jèze dans son Annuaire de l'Institut international de droit public, l'annulation d'un acte administratif est « la plus merveilleuse des créations des juristes, l'arme la plus efficace, la plus pratique, la plus économique qui existe au monde pour défendre les libertés ». C'est donc un procédé à l'efficacité redoutable, trop redoutable peut être en ce qui concerne le recours pour excès de pouvoir, car comme l'affirme B. Seiler dans son article L'illégalité sans l'annulation, elle « présente l'inconvénient des procédés radicaux ».
En effet, le juge de l'excès de pouvoir a une marge de manœuvre très faible dans son pouvoir juridictionnel, il doit apprécier la légalité d'un acte et s'il constate que cet acte est irrégulier, il est tenu d'en prononcer l'annulation. Mais parfois, annuler un acte administratif irrégulier c'est aller de Charybde en Scylla, l'annulation n'est pas toujours la solution la plus adéquate à l'illégalité. Cela amène donc parfois le juge a des bricolages juridiques portant atteinte à son efficacité et à sa crédibilité. C'est ce que nous analyserons dans un premier temps.
Ainsi, dans un « temps de transformation profonde de notre Etat, celui des dislocations, des incertitudes » , le juge administratif doit répondre de plus en plus à un impératif d'efficacité qui conduit en droite ligne a la remise en cause de la rétroactivité des décisions d'annulation. C'est la piste que nous suivrons dans une deuxième partie.
[...] Devys dans ses conclusions, montré que le pouvoir de modulation des effets temporels d'une annulation n'est en aucune mesure une atteinte au droit à un recours effectif, mais un pouvoir que s'est reconnu bon nombre de juges européens. Tout d'abord le plus célèbre de ces exemples tient aux pouvoirs en la matière que les traités communautaires donnent à la CJCE. En effet, si l'article 231 du traité CE (selon la numérotation établie par le traité d'Amsterdam) pose le principe que lorsque la Cour de Luxembourg, saisie d'un recours en annulation d'un acte communautaire qu'elle estime fondé, le déclare nul et non avenu, cet article admet une exception à ce principe : en ce qui concerne les règlements, la Cour de justice indique si elle estime nécessaire, ceux des effets du règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs En outre, le juge communautaire s'est arrogé de façon prétorienne le pouvoir d'annuler ex-nunc les autres actes communautaires et les décisions qu'il rend sur recours préjudiciel (CJCE 8 Avril 1976, Melle Defrenne contre Sabena). [...]
[...] Pourtant, le Conseil d'Etat ne s'en est pas tenu là, il a certes prononcé l'annulation de ces actes mais tenant compte de la nécessaire continuité du régime d'indemnisation du chômage et des risques de graves incertitudes pesant sur la situation des cotisants, il a estimé cette annulation ne remettait pas en cause le caractère définitif de certaines clauses des actes annulés. Ainsi, le juge du Palais Royal, de plus en plus attentif aux conséquences de ses jugements, organise une exception au principe de rétroactivité des annulations. [...]
[...] Devys a démontré, dans une perspective comparative, que de nombreuses juridictions constitutionnelles européennes définissent les effets dans le temps de leurs décisions de manière très nuancée. Par exemple en Autriche, la déclaration d'inconstitutionnalité à un effet simplement abrogatif mais le juge constitutionnel a la faculté de décider que sa décision aura un effet plus radical. Pour finir, le Commissaire du gouvernement a très bien mis en lumière le fait que le juge judiciaire, lui, affichait une appréciation plus souple du caractère rétroactif des décisions qu'il prononce. [...]
[...] La modulation des effets dans le temps des décisions du juge administratif Il ne faut pas se dissimuler que, depuis quelque temps, le Conseil d'Etat se trouve à l'étroit dans ses pouvoirs d'annulation que lui confère le recours pour excès de pouvoir. Ce que remarquait Hauriou dans sa note sous l'arrêt Daraux au début du XIXe siècle pourrait facilement illustrer l'évolution que le juge administratif a donnée à ses pouvoirs au tournant de notre siècle. Dans les faits, l'évolution du pouvoir d'annulation touche à la fois le juge du recours pour excès de pouvoir, dont c'est la seule arme dans sa charge d'épuration du droit des actes irréguliers mais aussi dans une moindre mesure le juge du plein contentieux qui dispose également d'autres pouvoirs. [...]
[...] Ce pouvoir sera-t-il contrôlé ou relèvera-t-il de l'appréciation souveraine des juges du fond. Pour finir, on pourra s'interroger sur la portée de ce nouveau pouvoir du juge administratif et de l'effet qu'il pourrait avoir sur la notion de sécurité juridique lors de revirements de jurisprudence. Pour l'instant, le Conseil d'Etat a rejeté l'invocation d'un principe de sécurité juridique pour soutenir que la légalité d'une décision contestée devait s'apprécier au regard de la jurisprudence établie à la date de la décision (CE Juin 2004, SCI Saint Lazare). [...]
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