"Il n'est, en matière d'administration de la justice, pire chose que l'équité, car l'équité est un sentiment : variable selon les sentiments, elle diffère donc du tout au tout suivant les individus" . Cette diatribe virulente de Fabreguettes illustre parfaitement les peurs qui ont conduit à la limitation de l'utilisation de l'équité par le juge, dominées par une conception qui oppose l'équité, un sentiment personne et subjectif de ce qui est juste, et la loi générale, impartiale et égale pour tous.
Toutefois derrière le singulier donné au mot "juge" se cache une pluralité de statut, et il faudrait plutôt parler "des" juges tant les modes de désignation, les compétences et les pouvoirs des individus ayant la "fonction de juger" en France diffèrent. Pour ne donner que quelques exemples, les magistrats de l'ordre judiciaires, dont le statut est régi par l'article 64 de la constitution, sont recrutés sur concours, mais à l'intérieur de ce groupe, seuls les magistrats du siège, qui jugent, sont inamovibles, tandis que les magistrats du parquet, qui instruisent, ne le sont pas. De même ces magistrats ont des compétences très différentes dépendant de leur spécialisation et donc de la juridiction dans laquelle ils exercent. Les juges de l'ordre administratif ont également des compétences différenciées et leur statut n'est pas constitutionnalisé. Les juges de proximité, quant à eux, sont nommés, et les juges des prud'hommes et de commerce sont élus par leurs pairs pour un seul jugement. Malgré cette réalité plurielle, le singulier a été ici donné au mot "juge", pour insister sur la fonction de juger, c'est-à-dire le juge comme individu compétent pour dire le droit, pour trancher des litiges. Et c'est précisément à cette fonction que l'on veut confronter la notion d'équité, qui lui est étroitement lié. La doctrine a énoncé, et énonce toujours, différentes définitions de l'équité et cette notion reste entourée de "mystères, d'incertitudes et d'embarras". Pour l'opinion publique, l'équité est naturellement ce qui guide le juge, elle attend de la justice "la révélation de ce qui parait juste à ses yeux et non point nécessairement de ce qui est objectivement légal". Toutefois la perception juridique de ce terme est généralement autre et l'on peut distinguer deux acceptions distinctes à ce sujet. Elle correspond tout d'abord à une justice particulière : le juge confronté à une situation que la loi n'a pas prises en compte, et où l'application stricte de la loi est inéquitable, va procéder à une "atténuation, modification (du) droit en considération de circonstances particulières". Certains parlent ainsi "d'équité d'espèce" qui correspond à une approche subjectiviste de la notion. Toutefois l'équité peut également être considérée comme une notion non plus soumis aux particularités, mais constitutives de règles de droit au travers d'une jurisprudence créatrice. La Cour de Cassation est ainsi régulièrement inspirée par l'équité, un sentiment supérieur de justice, lorsqu'elle comble les lacunes ou les incertitudes du droit par sa jurisprudence.
On voit donc ici que "la place de l'équité dans un système juridique dépend d'abord du rôle qu'on assigne au juge dans l'application du droit" et la peur de laisser une quelconque marge d'interprétation au juge a longtemps limité l'usage du principe d'équité par le juge. Il reste que le juge est un être humain qui ressent comme tout le monde "l'existence d'un sentiment de justice et d'injustice" ainsi que le besoin de faire triompher ce sentiment à l'issue de tout jugement, ce qui ne peut toujours être accompli avec une application stricte et aveugle de la loi. Il existe donc une tension nette dans les relations entre juge et équité.
Entre ces deux pôles, dans quelle mesure le juge peut-il user de la notion d'équité dans l'exercice de sa fonction ?
L'usage par le juge de la notion d'équité est fortement limité par le cadre juridique française (I), même si l'équité trouve sa place dans la jurisprudence au travers de son utilisation implicite par le juge (II).
[...] De plus le juge n'est en rien obligé d'user de ses pouvoirs d'équité lorsque ceux-ci trouvent leur source dans une invitation de la loi. Le jugement en amiable composition est également un espace de liberté laissé par les règles de droit pour l'usage de l'équité par le juge. L'article 12 al du NCPC prévoit ainsi "qu'une fois le litige naît, les parties peuvent ( . ) conférer au juge mission de statuer en amiable compositeur". De même l'article 1474 du même code énonce que "l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que dans la convention, les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur". [...]
[...] Dans le règlement des conflits familiaux, le juge doit ainsi avoir recours à des données morales pour l'appréciation de la faute ou l'intérêt de la famille et de l'enfant. On voit donc que le juge fait nécessairement appel à l'équité dans ses jugements puisqu'il "se surpasse et recherche si sa décision était tenue pour juste" selon Pierre Drai[16] Une utilisation de "l'équité objective" lors de la création de règles de droit par la jurisprudence On peut aller plus loin en affirmant que le "désir du juste" du juge surpasse cette simple recherche de la règle de droit applicable qui répondra plus sûrement aux principes d'équité. [...]
[...] Entre ces deux pôles, dans quelle mesure le juge peut-il user de la notion d'équité dans l'exercice de sa fonction ? L'usage par le juge de la notion d'équité est fortement limité par le cadre juridique français même si l'équité trouve sa place dans la jurisprudence au travers de son utilisation implicite par le juge (II). Une équité dont l'usage par le juge est fortement limitée dans le cadre juridique français Une condamnation de l'équité comme motivation des décisions du juge Les rapports définis par le cadre juridique français entre le juge et l'équité sont avant tout marqués par la méfiance et la limitation. [...]
[...] Cette méfiance envers le "jugement d'équité" se retrouve à la fois dans les textes juridiques et dans la jurisprudence. L'article 12 du Nouveau code de procédure civile (NCPC) énonce ainsi un principe directeur du procès civil selon lequel "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables". Les juges d'état sont soumis à l'obligation de motiver leur décision non par des considérations d'équité, mais par un raisonnement juridique fondé sur les textes. De plus, ils doivent subir le contrôle d'une juridiction supérieure qui condamne l'utilisation de l'équité comme motivation d'un jugement. [...]
[...] Cité in Loïc CADET, Dictionnaire de la justice, Paris : Presses Universitaires de France page 428. P. KAYSER, Droit, Justice et équité, RRJ page 56. Cité in : FOULETIER Marjolaine, Recherches sur l'équité en droit public français, op., cit., page 24. N. DION, Le juge et le désir du juste, op., cit., p P. M DUPUY, Cité in : FOULETIER Marjolaine, Recherches sur l'équité en droit public français, op., cit., page 17 Catherine PUIGELIER, L'équité ne peut servir de motivation à une décision de justice, Recueil Dalloz page 626. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture