Par son arrêt du 30 novembre 2006 sur la loi relative au secteur de l'énergie, le Conseil Constitutionnel vient de préciser la place du droit communautaire dans l'ordre juridique interne : même si les normes communautaires sont désormais intégrées aux exigences constitutionnelles depuis l'arrêt du 10 juin 2004 sur la loi relative à la confiance dans l'économie numérique, celles-ci ne prévalent pas sur « l'identité constitutionnelle de la France ». Ainsi voit-on que la hiérarchie des normes, qui est à la base de l'Etat de droit et du contrôle des juges en France, est sans cesse sujette de discussion et d'évolution.
En effet, selon le principe de juridicité, appelé aussi principe de légalité ou de régularité juridique, un acte doit être conforme à l'acte qui lui est immédiatement supérieur dans la hiérarchie des normes établie par la Constitution. Il apparaît ainsi que l'acte administratif est soumis au respect de la loi, elle-même soumise au respect de la Constitution qui se veut comme la « norme fondamentale » (Kelsen). C'est d'ailleurs elle qui fixe les règles premières de cette hiérarchie. Pour mettre en application cette hiérarchie, on a donc prévu deux niveaux de juridictions qui se succèdent : tout d'abord, le juge constitutionnel en charge du contrôle de la loi par rapport à la Constitution et aux autres normes à valeur constitutionnelle, ensuite le juge administratif en charge du contrôle des actes administratifs par rapport aux lois et à la Constitution. Tout paraît donc établi de manière simple et claire… D'autant plus que pour assurer la séparation entre ces deux juridictions, le juge administratif est reconnu comme incompétent à contrôler la conformité d'une loi à la Constitution, par voie d'action comme par voie d'exception.
Apparaît alors ce qu'on a appelé la théorie de la « loi-écran », application qui se veut parfaite de ces principe de juridicité et de séparation entre les deux juridictions : face à un acte administratif contraire à la Constitution, mais qui tient ce vice d'inconstitutionnalité d'une loi, il n'est pas possible d'invoquer utilement le moyen fondé sur l'inconstitutionnalité de l'acte car la loi fait écran entre l'acte et la Constitution. Ainsi, si le juge administratif sanctionnait l'inconstitutionnalité de l'acte, il sanctionnerait par le même temps la loi, or le juge administratif n'est pas compétent pour porter un jugement sur la régularité juridique d'une loi au regard de la Constitution. Dans ce cas, le juge administratif contrôle donc simplement l'acte par rapport à loi, considérant que la loi a déjà été contrôlée par rapport à la Constitution par le Conseil Constitutionnel. Au premier abord, cela semble clair et respectueux des principes de l'ordre juridique mais, rapidement, un problème semble émerger pour qui connaît le fonctionnement du Conseil Constitutionnel : celui-ci est loin d'être omniscient, certaines lois inconstitutionnelles pouvant ne pas être sanctionnées, et par le principe de la « loi-écran », certains actes peuvent donc être adoptés, conformément à la loi, tout en étant eux aussi inconstitutionnels. Le principe de juridicité n'est finalement pas toujours si simple à appliquer. Quand n'est-il alors de la hiérarchie des normes ?
De plus, l'intégration des traités dans l'ordre interne a, un temps, renforcé le problème : une loi, adoptée après l'entrée en vigueur du traité, empêchant parfois le contrôle de conventionalité de l'acte administratif en faisant écran entre l'acte et le traité, alors même que ce contrôle relève de la compétence du juge administratif. Des lois, et donc des actes contraires aux traités pouvaient donc être conformément adoptés, bien que, selon l'article 55 de la Constitution, les traités prévalent sur la loi. Cependant, pour les traités, la question semble avoir été résolue avec l'arrêt Nicolo rendu par le Conseil d'Etat en 1989.
Il n'en reste pas moins qu'on peut se demander comment il est possible que le juge administratif applique ce principe de la « loi-écran » alors même que celui peut entraîner une violation de la hiérarchie des normes, base de tout notre système juridique.
Ainsi, la théorie de la « loi-écran » se trouve donc prise à la fois entre la volonté de respecter les principes de juridicité et de séparation des juridictions et la remise en cause de la hiérarchie des normes (I). Les limites de cette théorie, dont sont bien évidemment conscients les juges, tendraient-elles vers une disparition de la « loi-écran », ou du moins une atténuation (II) ?
[...] Waline (Dalloz) - Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative (Dalloz) - Dictionnaire de droit administratif, A. Van Lang, G. Gondouin et V. Inserguet-Brisset (Colin) - Le droit constitutionnel de la Vème République, M. Lascombe (9ème édition L'Harmattan). [...]
[...] Il n'en reste pas moins qu'on peut se demander comment il est possible que le juge administratif applique ce principe de la loi-écran alors même que celui peut entraîner une violation de la hiérarchie des normes, base de tout notre système juridique. Ainsi, la théorie de la loi-écran se trouve donc prise à la fois entre la volonté de respecter les principes de juridicité et de séparation des juridictions et la remise en cause de la hiérarchie des normes Les limites de cette théorie, dont sont bien évidemment conscients les juges, tendraient-elles vers une disparition de la loi-écran ou du moins une atténuation ? [...]
[...] On peut noter, pour finir, les effets de cette théorie sur le contrôle des règlements d'exécution des lois : ainsi, s'ils sont protégés par la loi dont ils procèdent, les règlements d'exécution, contrairement aux règlements autonomes, ne sont pas censurés, même s'ils sont intervenus dans le domaine législatif défini à l'article 34 de la Constitution (CE novembre 1964, Martin ; ou plus récemment avril 1998, Association Générale des conservateurs des collections publiques). L'écran législatif est donc le symbole du refus du Conseil d'Etat d'exercer un contrôle de constitutionnalité, qui est réservé au Conseil Constitutionnel. [...]
[...] Toutefois, ce pouvoir de contrôle depuis longtemps, été limité. Ainsi, par son arrêt Arrighi, rendu en section le 6 novembre 1936, le Conseil d'Etat reconnaît que le juge administratif, comme le juge judiciaire d'ailleurs, ne peut pas contrôler la conformité d'une loi à la Constitution, que ce soit par voie d'action ou par voie d'exception d'ailleurs. Ce contrôle de constitutionnalité est réservé au Conseil Constitutionnel, seul à pouvoir apprécier de la conformité des lois à l'ensemble des normes à valeur constitutionnelle. [...]
[...] II - Vers une disparition de la loi-écran ? Ainsi, apparaissent peu à peu certaines atténuations à l'application de la théorie de la loi-écran notamment le principe d'écran transparent Mais, c'est uniquement dans le cas des traités que l'on peut parler d'une véritable disparition A Transparence et atténuations de l'écran législatif La théorie de la loi-écran présentant des limites du point de vue de la hiérarchie des normes, il n'est pas surprenant de voir les juges et le législateur évoluer pour en réduire le champ d'application. [...]
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