Relançant un très ancien débat, Prosper Weil qualifiait en 1980 de patents les défauts du système français de dualisme juridictionnel. Plus récemment, en septembre 2005, c'est Didier Truchet qui militait pour la réunion en une juridiction unique des ordres judiciaire et administratif. Pourtant, il semble que l'évolution se porte davantage vers la « convergence des règles que vers celle des juges » (Didier Truchet).
Car la juridiction administrative trouve ses fondements solides dans l'histoire de notre droit et notamment dans la conception française de la séparation des pouvoirs. Ainsi, sous l'Ancien Régime, le Conseil du Roi était l'ancêtre de la juridiction administrative, en ce qu'il gérait les contentieux administratifs. Dans sa forme actuelle, notre juridiction administrative a vu le jour entre la Révolution et le Consulat. Le Conseil d'Etat est, ainsi, créé le 22 Frimaire An VIII ; création suivie par celle des conseils de préfectures départementaux, le 28 Pluviôse An VIII. C'est le résultat d'une double préoccupation : la méfiance des Révolutionnaires vis-à-vis du pouvoir judiciaire et la nécessité de contrôler pour le gouvernement l'administration.
La pérennité de la juridiction administrative s'est accompagnée d'une extension de ses pouvoirs avec la loi du 24 mai 1872 qui, en réorganisant le Conseil d'Etat, a permis le passage d'une justice retenue à une justice déléguée et l'arrêt Cadot de 1889 qui a supprimé la fiction du ministre-juge. Depuis plus d'un siècle, le juge administratif prend au contentieux des décisions ayant l'autorité de chose jugée et celles du Conseil d'Etat ont le même caractère définitif que celles de la Cour de cassation. L'arrêt Casanova de 1901 a amorcé un mouvement d'extension de l'intérêt pour agir en matière d'excès de pouvoir qui a largement ouvert aux administrés le contentieux de la légalité des actes administratifs, tandis qu'avec l'arrêt Canal notamment, en 1962, le Conseil d'Etat a démontré son indépendance à l'égard du gouvernement. La juridiction administrative s'est donc ancrée peu à peu dans notre système juridique tout au long de son histoire et a imposé sa légitimité par un contrôle rigoureux de l'administration et par une attention soutenue à la protection des citoyens en même temps qu'il définissait l'intérêt général et le service public.
Malgré tout, et en dépit de cette longue appartenance au paysage juridictionnel et juridique français, le dualisme juridictionnel français continue d'être l'objet de débat, lorsqu'il n'est pas purement et simplement remis en cause.
Il faut donc s'attacher à l'étude de la solidité des fondements, qu'ils soient historiques ou rationnels, de la juridiction administrative et du dualisme juridictionnel (I) ; avant d'analyser les arguments avancés au soutien d'une remise en question de cette spécificité française (II).
[...] Les questions de fond l'emporteront-elles sur les questions de compétence ? Pour l'instant, la Cour de cassation ne semble pas tentée d'aller dans cette direction. - Ce serait sans nul doute à terme la spécificité même du droit administratif qui serait menacée : si les mêmes règles sont appliquées par les deux ordres de juridiction, à quoi bon des règles spéciales pour l'administration ? N'a-t-on pas l'impression aujourd'hui que l'existence du droit administratif tienne surtout à l'existence d'un juge spécial et non à des considérations substantielles ? [...]
[...] - Le Conseil d'Etat fait des efforts soutenus de communication : outre ses rapports publics, il explique ses décisions importantes sur son site internet, de manière didactique. Mais la brièveté des décisions des juridictions administratives tranche de toute façon avec la longueur et le caractère souvent ésotérique de celles des juridictions judiciaires. II Une contestation renforcée par les initiatives d'autres ordres de juridictions A / La complexité de la répartition des compétences Une dualité fondée sur des solutions trop subtiles : les incertitudes sur le juge à saisir - Les critères de répartition des compétences sont divers et complexes, car ils sont le fruit de l'histoire. [...]
[...] Au fond, la doctrine contemporaine explique que l'on applique le droit administratif et qu'on confie donc le contrôle de l'administration au juge administratif quand on l'estime opportun. Chaque juge a une fonction qu'il doit remplir et dont l'exercice peut exceptionnellement le conduire au-delà du droit qu'il applique usuellement. Pour Daniel Labetoulle, la fonction doit transcender la compétence : la compétence doit suivre la fonction. - L'évolution des sources du droit conduit à l'érosion de la distinction française traditionnelle entre droit public et droit privé (Didier Truchet). [...]
[...] De même que celles sur le statut des membres du Conseil d'Etat, qui ne sont pas des magistrats et n'ont pas, officiellement, de garanties équivalentes. Ou encore sur le fait que c'est la juridiction administrative qui est compétente en ce qui concerne la contestation des décisions individuelles relatives à la carrière des magistrats judiciaires et notamment des sanctions qui leur sont infligées. Le juge judiciaire est tenté de juger l'administration en s'appuyant sur certaines règles de fond - On le voit avec la tendance de juges judiciaires d'élargir le domaine de la voie de fait qui leur donne compétence pour statuer en lieu et place du juge administratif lorsque l'illégalité commise par l'administration excède manifestement les pouvoirs qui lui sont impartis. [...]
[...] C'est la juridiction administrative qui a inventé le droit administratif, à la fois pour encadrer et justifier l'action de l'administration qu'elle contrôlait tout en lui appartenant et pour justifier son indépendance vis-à-vis des juridictions soumises au contrôle de la Cour de cassation. Le droit administratif est le droit largement inventé et toujours appliqué par la juridiction administrative. - L'administration, dont le rôle a longtemps été incomparablement plus important en France qu'ailleurs en Europe, doit être contrôlée : elle l'est par un juge qui la connaît, qui la comprend et qui borne son action sans la brider. [...]
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