« Juger l'administration, c'est encore une fois administrer » : cette citation, en justifiant la création d'une juridiction administrative parallèlement à la juridiction judiciaire, pose la question de la dualité des ordres de juridiction inventés par la France. Ce n'est en effet pas le cas en Angleterre où l'administration est soumise à la Common Law ou en Allemagne ou il n'y a qu'un seul ordre de juridiction mais à l'intérieur une séparation des contentieux.
Juger signifie se prononcer sur une affaire en qualité d'arbitre, c'est-à-dire de manière neutre. Et administrer signifie gérer les affaires publiques, gouverner. On ne voit donc pas comment on peut à la fois juger, c'est-à-dire être neutre, et administrer c'est-à-dire prendre des décisions forcément subjectives. C'est pourquoi à première vue la citation paraît antinomique. Mais en fait, juger l'administration n'est pas une prérogative neutre. Car l'administration représente l'Etat et son pouvoir, qui doit être soumis au droit selon le principe de légalité, mais qui en théorie est au-dessus de tous car il prend ses décisions en fonction de l'intérêt général. Il faut donc que l'administration soit soumise à un droit spécifique et donc à une juridiction spéciale.
En effet, dans son ouvrage De l'autorité judiciaire en France, Pansey, ancien ministre de la Justice (1814), réfléchit sur le pouvoir administratif envisagé dans ses rapports avec l'autorité judiciaire. Il considère que « l'influence de l'autorité judiciaire sur la Constitution de l'Etat bien organisé, tempère et corrige cette Constitution lorsqu'elle est vicieuse », voulant ainsi faire de l'autorité judiciaire une branche de l'exécutif, dans le but de mieux contrôler l'administration pour régler les litiges avec les usagers. C'est pourquoi on peut interpréter la citation comme une justification à la création d'un ordre administratif indépendant, puisque pour lui « la juridiction est le complément de l'action administrative ». De plus, en dehors de l'argument de rationalisation de l'action administrative, on peut voir se profiler dans la phrase de Pansey un second argument qui est celui de la séparation des pouvoirs. En effet, si juger l'administration revient indirectement à administrer, alors cette prérogative ne doit pas être confiée au pouvoir judiciaire, au nom de la séparation des pouvoirs. D'où la nécessité de créer une juridiction interne à l'administration.
C'est pour ces deux raisons que dire « juger l'administration c'est encore une fois administrer » fait écho aux décisions des 16-24 Août 1790 et du décret du 16 fructidor an III (affirmant le principe de la nécessaire indépendance de l'administration vis-à-vis des tribunaux), et justifie la création d'une juridiction administrative indépendante, qui surviendra par la suite avec la décision fondatrice prise dans l'arrêt Blanco en 1873.
[...] Par ailleurs, ce n'est plus tout aussi vrai aujourd'hui de dire que juger l'administration, c'est encore une fois administrer d'une part car la juridiction administrative a acquis une véritable indépendance, d'autre part car la juridiction judiciaire s'est vue attribuer un pouvoir de contentieux croissant. Quoi qu'il en soit, comme l'écrivent Jean Massot et Jean Marimbert la vérité est que l'on constate qu'il y a ( ) un besoin universel de juridictions administratives spécialisées puisque de nombreux pays européens se sont inspirés de ce modèle. [...]
[...] Cependant la juridiction administrative n'est pas apparue du jour au lendemain : elle est le produit d'un long processus. Dans un premier temps, l'incompétence des juridictions ordinaires s'est concrétisée par le fait que, faute de juge compétent pour la contrôler, l'administration est devenue son propre juge. Toutefois, très rapidement, depuis Bonaparte, se sont constitués en son sein des organes spécialisés dans le contentieux : tel est le cas du Conseil d'Etat créé par la Constitution du 22 frimaire an VIII qui outre un rôle administratif a reçu dès sa création un rôle contentieux puisqu'il était chargé d'examiner les litiges pouvant survenir entre les particuliers et l'administration. [...]
[...] Chargés de faire respecter par l'administration l'Etat de droit, les tribunaux administratifs ne peuvent cependant adresser d'injonction à l'administration. Ils disposent néanmoins en toute indépendance, du pouvoir d'annuler ses actes irréguliers et de la condamner à indemniser les personnes envers qui elle a engagé sa responsabilité. Deux types de recours sont ouverts au citoyen : le recours pour excès de pouvoir (annulation d'un acte administratif irrégulier) et le recours de plein contentieux (indemnisation d'un dommage causé par la faute de l'administration). [...]
[...] Puis les facteurs nés au sein même de l'ordre administratif ont dû se combiner avec des contraintes nées de la transformation du monde extérieur. Selon l'expression de Jacques Chevallier, le droit administratif est en mutation Des données nouvelles tenant à la remise en cause du juge administratif et du droit administratif, à l'encadrement de l'un et l'autre par un environnement normatif modifié, et à un paysage institutionnel renouvelé, sont apparues. En effet, les réticences à l'égard du juge administratif et de son droit se sont renforcées dans les années 1970, selon l'expression de Delvolvé le droit administratif n'a plus bonne réputation : la complexité des règles de compétences et l'inefficacité pratique des décisions juridictionnelles pour les citoyens, entre autres, ont été mille fois dénoncés. [...]
[...] Plus tard on créera les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel. Ainsi se dessine la problématique du droit administratif qui caractérise cette juridiction spécifique : d'un côté suspicion à l'égard du gouvernement, qu'on redoute de voir attenter aux droits naturels et imprescriptibles du citoyen, de l'autre nécessité pour le gouvernement de disposer des moyens nécessaires à la satisfaction du service public, ce qui lui suscite l'octroi de privilèges et de prérogatives. Avantages d'une juridiction interne : rationalisation et contrôle de l'action administrative car juger est une phase du processus administratif La justice administrative peut être vue comme une branche du système judiciaire général, mais aussi, et c'est la vision de Pansey, comme phase du processus décisionnel de l'administration et instrument de rationalisation de l'action administrative. [...]
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