« Le principe de la séparation entre l'administration active et la juridiction administrative est précaire et fragile en raison des rapports qui s'établissent concrètement entre ces deux entités » disait déjà le professeur Chevallier.
Cette affirmation s'applique d'autant mieux en matière de plein contentieux ou le juge rend une justice distributive, donnant au requérant ce qui lui est du et doté pour cela de larges pouvoirs. En effet, faut il le rappeler, c'est dans le contentieux de pleine juridiction que le juge dispose des pouvoirs les plus étendus. Il peut non seulement prononcer des condamnations pécuniaires à l'encontre de l'administration mais encore réformer totalement ou partiellement la décision administrative contestée tandis que le juge de l'excès de pouvoir dispose seulement d'un pouvoir d'annulation et ne peut reconnaître aucun droit individuel.
Le juge de plein contentieux a ainsi vu l‘accusation de « juge-administrateur » se porter d'abord sur lui du fait de l'étendue de ses pouvoirs remettant en cause le grand principe de séparation entre l'administration active et la juridiction administrative.
D'autant plus que le juge du plein contentieux a vu ses pouvoirs largement étendus par la loi du 8 février 1995. Cette loi a conféré un pouvoir d'injonction au juge administratif. Auparavant essentiellement contrôleur de l'administration, le juge de l'excès de pouvoir peut être aussi depuis 95, chargé de rendre à chacun ce qui lui est du. Par ailleurs la loi du 30 juin 2000 introduisant de nouvelles procédures d'urgence confirmait cette prise en compte de plus en plus forte des intérêts individuels des requérants. Cette loi rendait ainsi la distinction entre juge de l'excès de pouvoir et juge du plein contentieux apparemment obsolète.
Qu'il statue alors en matière d'excès de pouvoir ou en matière de plein contentieux, le juge administratif est amené à empiéter sur le domaine et les fonctions de l'administrateur.
Par ailleurs, les solutions apportées récemment aux problèmes récurrents qui se posaient à la juridiction administrative, celui de l'exécution des décisions de justice et celui de l'urgence à statuer dans certaines affaires ont encore accentué cette tendance au juge-administrateur.
[...] Dans le contentieux général, le pouvoir de substitution n'est prévu par aucun texte. Dans un premier temps, certaines décisions ont semblé conférer un pouvoir de substitution au profit du juge. Ainsi, le Conseil d'Etat dans sa décision CE 11 avril 1913 Compagnie des Tramways de l'Est Parisien énonce : considérant que la délivrance des permissions de voirie ne constitue pas un droit pour les pétitionnaires il n'appartient pas au Conseil d'Etat de faire droit à cette demande Ce qui laisse entendre que si les permissions de voirie constituaient un droit pour les pétitionnaires, alors le Conseil d'Etat aurait étudié l'octroi de telles permissions. [...]
[...] Daniel Labetoulle considère que le juge se doit simplement de rétablir les résultats sortis des urnes que l'organe chargé du recensement a mal interprétés, soit en raison d'une erreur de calcul soit parce que des suffrages ont été déclarés nuls alors qu'ils devaient être tenus pour valables et inversement Le juge ne fait donc que rectifier des erreurs matérielles de l'administration. Il constate seulement le vote émis par le corps électoral. Cependant, les conditions d'exercice de sa fonction dans les contentieux électoraux n'en restent pas moins originales. Ainsi, dans CE 1947 Commune de Saint Martin de Redon, il s'agissait d'une requête dirigée contre les opérations électorales du 13 mai 1945 pour le renouvellement du Conseil municipal. Les requérants demandaient une annulation de l'élection car six personnes avaient irrégulièrement pris part au scrutin. [...]
[...] Le législateur a donc laissé la porte ouverte à l'extension des prérogatives du juge de plein contentieux dans certains contentieux spéciaux. Le juge administratif a dans la pratique très largement dépassée les modalités des compétences que lui confiait le législateur. Il s'est même parfois octroyé le pouvoir de substitution dans des contentieux spéciaux sans textes spécifiques par exemple dans le contentieux électoral. Cette interprétation large de différents textes dans des contentieux spéciaux s'est en tout cas faite au profit des particuliers et on ne peut que louer cette pratique notamment dans le contentieux des arrêtés de reconduite à la frontière. [...]
[...] Le pouvoir de substitution constitue par essence le pouvoir du supérieur hiérarchique. Or, le principe de séparation entre l'administration active et la juridiction administrative impose comme corollaire l'absence de domination de l'une sur l'autre. Si le juge administratif disposait de ce pouvoir de substitution, il agirait en véritable supérieur hiérarchique ce qui amènerait à la confusion ancienne de la juridiction administrative et de la juridiction active. La division des fonctions serait terminée. Ainsi, ce principe d'impossibilité de substitution est appliqué rigoureusement. [...]
[...] Ainsi le juge administratif de plein contentieux ou de l'excès de pouvoir n'a jamais hésité à adresser à l'administration étant donné le caractère inquisitorial de la procédure juridictionnelle administrative des injonctions d'instruction ou injonctions de procédure. Selon la formule jurisprudentielle il appartient au juge d'exiger de l'administration compétente la production de tous documents susceptibles d'établir sa conviction et de permettre la vérification des allégations du requérant. Par ailleurs, le CE a utilisé& depuis longtemps de nombreux moyens de pression pour que l'administration obéisse à la chose jugée. [...]
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