« En l'état actuel du droit public français, le moyen de contrariété d'une loi aux lois constitutionnelles de 1875 n'est pas de nature à être discuté devant le Conseil d'État statuant au contentieux »: c'est en des termes clairs et fermes que la Haute Juridiction administrative affirma, dans l'arrêt de Section Sieur Arrighi du 6 novembre 1936, qu'il lui était impossible de s'assurer de la constitutionnalité des lois. Cette affirmation de principe fut maintes fois réitérée en dépit des évolutions de notre système juridique et des changements de Constitution. Notamment, alors que dans un arrêt du même jour, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État admettait enfin de contrôler comparable au regard de la Constitution en des termes dénués d'ambiguïté: « il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la constitutionnalité d'une loi » ( CE,Ass,5 mars 1999, M.Rouquette, Mme Lipietz et autres).
Sous la Ve République, cette situation peut aisément s'expliquer, dans la mesure où il existe, en droit français, depuis son instauration en 1958, un organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois: le Conseil constitutionnel. Au demeurant, c'est à l'existence de ce dernier que se réfère le Conseil d' État lorsqu'il rappelle encore, de façon didactique, dans un arrêt du 5 janvier 2005, que l'article 61 de la constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le soin d'apprécier la conformité d'une loi à la Constitution; que le contrôle est susceptible de s'exercer après le vote de la loi et avant sa promulgation; qu'il ressort des débats tant du comité consultatif constitutionnel que du Conseil d'État lors de l'élaboration de la Constitution que les modalités ainsi adoptées excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de son application ».
Dans ces conditions, d'évidence, le juge administratif n'est pas un juge constitutionnel.
Pourtant, cette première affirmation mérite d'être précisée d'abord, nuancée ensuite, contredite enfin, à la lueur de la jurisprudence administrative. Elle mérite précision,car le contrôle de constitutionnalité auquel refuse de se livrer le Conseil d'État porte sur les seules lois et, encore, à quelques exceptions près. Elle mérite également nuances, dans la mesure où le haut magistrat administratif précise lui-même que la Constitution peut l'habiliter à contrôler les lois, comme il le rappelle à propos de l'article 55 dans l'arrêt du 5 janvier 2005 précité, comme la jurisprudence récente le montre au regard de l'article 88-1. Elle mérite contradiction, car de brèche en assaut jurisprudentiel, le Conseil d'État aboutit, par de subtils procédés de technique juridique, à un résultat comparable à celui d'un contrôle de constitutionnalité de la loi, qu'il interprète la Constitution ou qu'il contrôle directement la constitutionnalité des lois.
En somme, il arrive que le juge administratif soit un juge constitutionnel, qu'il agisse de façon ostensible ou avec davantage de discrétion.
[...] Ainsi, le contrôle opéré par le juge administratif sur habilitation constitutionnelle le conduit, a minima, à un contrôle de constitutionnalité au regard des dispositions constitutionnelles d'habilitation, article 55 d'un coté, article 88-1 de l'autre; a maxima, il le conduit à un contrôle de constitutionnalité indirect, dans les conditions énoncées précisément par la jurisprudence Arcelor. Au-delà, le juge administratif peut encore se conduire en juge constitutionnel de manière subreptice, sous couvert de procédés qui ne relèvent pas du contrôle de constitutionnalité, mais lui offrent un résultat comparable à ce dernier. II- Le juge administratif, un juge discrètement constitutionnel. [...]
[...] Pourtant, la jurisprudence récente brouille quelque peu la frontière entre ces deux types de contrôle, faisant du juge administratif un juge constitutionnel. Dans deux décisions de 2005, le Conseil d'Etat a examiné si des règles constitutionnelles n'avaient pas abrogé implicitement des dispositions législatives antérieures, la loi de 1995 sur l'état d'urgence confrontée à la Constitution de 1958, dans un cas ( CE,ord.réf nov Boisvert) , l'ordonnance de 1945 sur les huissiers de justice confrontée au Préambule de 1946, dans l'autre(CE,Ass déc Syndicat national des huissiers de justice). [...]
[...] En témoigne l'arrêt d'Assemblée du contentieux du 7 juillet 1950, Dahaene, où les hauts magistrats administratifs se trouvaient confrontés à un vide législatif, leur permettant d'interpréter le Préambule de la Constitution de 1946 dans le sens de la conciliation du droit de grève, de valeur constitutionnelle, avec la sauvegarde de l'intérêt général. Or l'interprétation est audacieuse, dans la mesure où le Préambule prévoyait précisément que le droit de grève s'exercerait dans le cadre des lois le réglementant ; en l'absence de telles lois, le Conseil d'État a tout de même imposé le respect de la Constitution au gouvernement. Le juge administratif s'est donc conduit en juge constitutionnel, sous couvert d'une simple interprétation de la Constitution. [...]
[...] A contrario, en l'absence de loi, nul écran empêchant le juge de vérifier la constitutionnalité de l'acte administratif. L'écran législatif ne s'interpose pas dans deux situations distinctes: en l'absence de loi, comme l'illustrent les règlements autonomes, ou encore en présence d'une simple loi d'habilitation. Lorsqu'aucune loi ne fait écran entre un acte administratif dont le juge contrôle la légalité et la Constitution, alors ce dernier peut contrôler directement sa constitutionnalité. Tel est le cas quand le juge administratif contrôle la légalité des règlements dits autonomes ceux qui n'ont pas la base textuelle législative ( art 37 const). [...]
[...] Du reste, l'idée d'équivalence est au cœur d'une seconde habilitation constitutionnelle, concernant spécifiquement le droit communautaire dérivé. Au sein du droit international, le droit communautaire dérivé occupe une place particulière, dans la mesure où, quantitativement foisonnant, il s'impose à notre ordre juridique avec la même force que le droit international conventionnel. Les règlements communautaires ne posent guère de difficulté puisque le contrôle de leur respect par les lois et les actes administratifs peut s'opérer aisément sur le fondement de la jurisprudence Nicolo ( CE sept Boisdet). [...]
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