L'institution chargée de garantir le respect de l'ordre public économique et réprimer les pratiques anticoncurrentielles est une autorité administrative indépendante (AAI), le Conseil de la concurrence, et les recours contre ses décisions se font devant la cour d'appel de Paris, ce qui pourrait faire penser que le juge administratif n'est pas amené à appliquer le droit de la concurrence.
C'est cependant loin d'être le cas : non seulement il n'est pas nouveau qu'il y ait des liens entre juge administratif et droit de la concurrence, mais les évolutions récentes les ont renforcés. Ainsi, en 1999, dans un article sur les difficultés inhérentes à l'intervention du juge administratif en matière de concurrence, Marie-Anne Frisson-Roche concluait : « un conflit inévitable, une conciliation nécessaire ».
En effet, dès lors que l'action administrative et le marché ne sont pas guidés par les mêmes principes (la première privilégiant la solidarité et l'égalité et la cohésion sociale, tandis que le second s'attache davantage à la liberté d'entreprendre, à l'initiative des individus et aux vertus de la compétition) le juge administratif va devoir, pour juger du respect ou non du droit de la concurrence, concilier des principes souvent en contradiction.
La question essentielle va donc être de savoir si, et dans quelle mesure, le juge administratif soumet l'administration au droit de la concurrence ou au contraire la dispense de ses contraintes.
[...] Le juge administratif n'aurait pas la légitimité pour contrôler la concurrence. Enjeu d'un conflit d'intérêts entre le principe de libre concurrence et l'activité administrative qui y serait par nature étrangère, il ne soumettrait pas cette dernière à des règles entravant son fonctionnement et allant à l'encontre de ses objectifs. Cette critique perdure, et le Conseil d'Etat a ainsi déploré dans son rapport public de 2002 (Collectivités Publiques et concurrence) l'idée reçue selon laquelle l'administration serait foncièrement rétive à la notion de concurrence Il n'aurait pas les compétences suffisantes pour mener efficacement une mission de contrôle de la concurrence. [...]
[...] Phénomène inévitable, l'application du droit de la concurrence par le juge administratif apparaît donc totalement orthodoxe. Au-delà, les relations entre juge administratif et droit de la concurrence révèlent aussi que ces règles ont la propriété de remettre en cause la distinction entre public et privé : le caractère unitaire du droit de la concurrence (favorisée par le droit communautaire) est plus fort que cette distinction. Cet aspect est notamment souligné par le Doyen Vedel, selon qui la force du droit de la concurrence est dans sa capacité à imposer ses spécificités à toutes les juridictions et à dépasser ainsi les inconvénients du dualisme juridictionnel. [...]
[...] Ce risque est important, car les dispositions du droit de la concurrence sont souvent formulées dans des termes abstraits. Ainsi, les articles sur l'interdiction des abus de position dominante (L.420-2 code commerce et 82 CE) se contentent de donner des exemples de ce type d'infraction sans véritablement définir la notion d'abus. Et il en est de même pour les articles relatifs aux pratiques anticoncurrentielles (L420-1 code de commerce et 81 CE). ( Le juge administratif dispose donc d'une grande liberté d'appréciation, pour l'interprétation de la règle de droit, la qualification juridique des faits et l'application concrète de la règle . [...]
[...] Par exemple dans l'arrêt Compagnie générale des eaux, du 23 juillet 1993, il se contente de relever que l'acte déféré n'est pas par lui-même susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché Le juge administratif va systématiquement rejeter comme inopérants les moyens tirés du droit de la concurrence invoqués à l'encontre d'actes de puissance publique, ce qui confère à ces derniers une véritable immunité au regard du droit de la concurrence, et fait parler certains de déni de justice (Marie-Anne FRISSON-ROCHE). II. La tendance s'inverse néanmoins à partir des années 1990, et l'on assiste à un rapprochement entre droit de la concurrence et juge administratif, ce dernier appliquant de façon croissante le droit de la concurrence et disposant pour cela de moyens adaptés A. [...]
[...] La CJCE a néanmoins tranché que les 2 n'étaient pas incompatibles : le droit de la concurrence n'implique nullement que les intervenants sur le marché se trouvent dans une situation identique ou en tous points comparable ; il exige simplement que chacun n'utilise que des atouts ou mérites régulièrement acquis. Dans sa décision ARGE du 7 décembre 2000, elle estime que le fait qu'un établissement public bénéficie de subventions lui permettant de proposer des prix inférieurs à ses concurrents est une intervention sur le marché possible dès lors que les subventions intervenaient régulièrement, c'est-à-dire ne constituent pas des aides d'Etat interdites. [...]
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