Lors de l'affaire COHN-BENDIT, le commissaire du gouvernement Bruno GENEVOIS avait déclaré qu'à l'échelon de la communauté, « il ne devait y avoir ni gouvernement des juges, ni guerre des juges mais dialogue des juges ». Le mot fédérateur de cette citation, c'est le Droit. En effet, le gouvernement des juges s'apparente à une détermination des règles de droit par une interprétation poussée à son comble, la guerre des juges, quant à elle se focalise sur la matière et le sens des règles de droit applicables, et enfin le dialogue des juges tend à faire naître un esprit de consensus jurisprudentiel, mettant fin aux particularismes nationaux encore représentés aujourd'hui dans certains Etats européens dont la France. En effet, il semble qu'une des instances suprêmes du pouvoir judiciaire, le Conseil d'Etat, continue d'observer une même ligne de conduite vis-à-vis du Droit communautaire, visant à reconnaître son caractère primant mais non premier. Reflétant la pensée de l'autorité administrative dans son ensemble, puisque le Conseil d'Etat constitue une sorte de « cour de cassation » de l'autorité administrative, un amalgame volontaire sera entretenu par la réduction du juge administratif au Conseil d'Etat, ces décisions pouvant influencer considérablement les autres juges administratifs que sont les juridictions du fond et d'appel. Faut-il rappeler qu'à l'origine le juge administratif est chargé de juger l'administration pour les actes, les faits qu'elle commet au regard de la loi, du règlement, de principes ou de la Constitution. Par la suite son rôle s'est étendu, le juge administratif ayant accepté dans l'arrêt NICOLO du 20 octobre 1989 d'exercer un contrôle de conventionnalité, des lois sur les traités internationaux. De cette supériorité reconnue aux traités fondée sur l'article 55 de la Constitution, le Conseil d'Etat en a déduit une primauté du Droit communautaire sur les lois, mais pas sur la Constitution. De ce constat, on voit émerger une divergence avec la position inflexible adoptée par la Cour de Justice des Communautés européennes, la CJCE dès 1954. Le rapport de ces deux juridictions vis-à-vis du Droit communautaire, Droit de l'union européenne constitué de traités, de règlements, de décisions et de directives, diffère sensiblement sans être antagonique. Quelle application le juge administratif fait-il du Droit communautaire ? Les tentatives du Conseil d'Etat visant à adopter un positionnement singulier sur le principe de primauté du Droit communautaire (I) ne font-elles que retarder un processus d'alignement devenu inéluctable (II)?
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[...] Toutefois le 27 juillet 2006, le CC a quelque peu modifié sa position, redonnant un peu de vigueur et d'importance aux normes constitutionnelles en précisant que tout principe inhérent à la République française, écrit ou non pourrait faire échec à l'application du Droit communautaire Dans sa décision du 7 décembre 1984, fédération française des sociétés de protection de la nature, le conseil a estimé qu'une directive pouvait utilement être invoquée contre n'importe quel acte réglementaire, même dépourvu de liens avec cette directive. La question de la contestation d'un acte administratif au regard d'une disposition communautaire réapparaît, et il semble qu'aujourd'hui, même en refusant un effet direct aux directives, le CE opère malgré lui un rapprochement. Vers un alignement jurisprudentiel du CE à la CJCE ? Ce processus d'acceptation de la jurisprudence de la CJCE par le CE a déjà pu commencer avec l'arrêt COHN-BENDIT. [...]
[...] Ainsi dans sa décision du 28 septembre 1984, Confédération nationale des sociétés de protection des animaux de France, le CE a pu juger qu'il lui appartenait de vérifier la légalité des mesures réglementaires prises par l'autorité exécutive pour se conformer aux directives communautaires. De cette décision, il ressort aussi que les particuliers ont la faculté de contester un acte administratif réglementaire au regard d'une directive communautaire, ce qui n'est pas le cas des actes administratifs individuels. Le CE ne perçoit les directives comme s'appliquant aux seuls Etats membres. Du fait qu'il n'admet pas un effet direct aux directives, il refuse aux particuliers le pouvoir de revendiquer l'applicabilité directe de droits contenus dans le texte communautaire afin de contester un acte administratif individuel. [...]
[...] Cette extension contribue certes à consolider un raisonnement propre au juge administratif en marge avec la jurisprudence communautaire, toutefois on remarque le rapprochement opéré par le Conseil d'Etat avec le principe d'effet direct puisqu'au terme, l'acte administratif individuel sera annulé. L'exception d'illégalité a pu aussi être étendu comme méthode contrevenant à la loi, puisque le CE a pu inaugurer dans la décision Rothman's international et Philip Morris l'exception d'inconventionalité permettant de remettre en cause incidemment la loi au regard d'un acte de Droit communautaire dérivé. [...]
[...] L'effet direct est le principe selon lequel une règle adoptée par une organisation internationale ou un traité international s'applique directement dans le droit interne des États sans qu'il soit besoin ni possible que cet État transpose préalablement cette règle dans son droit interne par l'adoption d'une loi ou d'un vote réglementaire. Les justiciables peuvent alors se prévaloir de l'applicabilité directe de ces règles résultantes des traités devant les juridictions nationales qui en l'occurrence crées des droits en faveur de ceux-ci. La réalité de l'effet direct de certains actes de droit communautaire dérivé pose la question de la place du Droit communautaire au sein de l'ordre interne. [...]
[...] Ainsi dans sa décision du Cercle militaire mixte de la Caserne Mortier, le CE a interprété de manière extensive la loi afin de la préserver, même si son action de manière concrète, participé à une modification du contenu de la loi, le juge se comportant alors comme un législateur. C'est peut-être pour cela que Bruno GENEVOIS parle de gouvernement de juges. Toutefois, au moment même où la CJCE reconnaît l'illégalité commise par le législateur comme étant constitutive d'une faute, le CE s'y refuse et se comporte comme le protecteur du pouvoir législatif (Philip Morris France 1992). [...]
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