L'intérêt général est au coeur de la pensée politique et juridique française. Il détermine en effet la finalité de l'action publique et fonde sa légitimité. Pourtant, comme le souligne le doyen Vedel, la notion d'intérêt général apparaît très incertaine quant à sa définition. On oppose en effet traditionnellement deux conceptions de l'intérêt général. La première dite "utilitariste" ne voit dans l'intérêt commun que la somme arithmétique des intérêts particuliers ce qui laisse peu de place de facto à l'arbitrage de l'État. La seconde dite "volontariste" exige au contraire une intervention significative de l'État afin de parvenir à un dépassement des intérêts privés. La tradition juridique française s'inscrit principalement dans la filiation volontariste qui confie à la loi, expression de la volonté générale, le soin de définir l'intérêt commun qui doit guider l'action administrative et fonder le contrôle du juge. L'intérêt général en droit public français ne se réduit donc pas, comme dans la vision libérale, à la seule protection des libertés et n'est jamais simplement l'addition d'une série d'intérêts particuliers. Toutefois, cette conception volontariste est aujourd'hui fragilisée par la contestation d'un État qui incarne l'intérêt général et s'adapte difficilement aux mutations de la société. L'évolution des démocraties contemporaines tend de fait à promouvoir la diversité des identités et la pluralité des intérêts au dépens du primat des valeurs communes. L'intérêt général peut-il dès lors demeurer le fondement de l'action publique ou est-il condamné à la disparition ? Cette notion est-elle entrée en crise où s'agit il d'une étape nécessaire vers une redéfinition et un rajeunissement du concept associant plus étroitement pouvoirs publics et société civile ?
Si l'intérêt général reste aujourd'hui encore une notion centrale du droit public et le fondement essentiel de l'action administrative (I), la multiplication des procédures de formulation de l'intérêt général semblent bien menacer le caractère unitaire de cette notion (II).
[...] Le contrat administratif est en effet un accord de volonté dans lequel l'État doit négocier la mise en oeuvre d'actions qu'il estime d'intérêt général. Cette négociation peut conduire là encore à un affaiblissement de la notion car le cocontractant de l'administration peut être amené à favoriser son intérêt particulier au détriment de celui de la société. C'est pourquoi certaines matières comme la police administrative, qui exige que l'intérêt général soit absolument préservé, ont été exclues du champ de l'activité contractuelle. [...]
[...] Pour autant, la conception française, qui fait une place centrale à un intérêt général allant au-delà de la somme des intérêts particuliers, n'est pas pour autant condamnée. L'expérience montre en effet que les intérêts particuliers sont le plus souvent conflictuels et que la médiation de l'État est indispensable pour permettre de dépasser les égoïsmes catégoriels et prendre en compte les intérêts des générations futures. La notion d'intérêt général doit néanmoins dans le cadre national ou supranational faire l'objet d'une redéfinition : c'est à cette condition qu'elle pourra à la fois s'adapter aux enjeux économiques et sociaux contemporains et mieux répondre aux besoins nouveaux qui s'expriment. [...]
[...] Celui-ci n'est pourtant pas allé jusqu'à consacrer constitutionnellement le concept d'intérêt général. Tout au plus qualifie-t-il l'ordre public, sous-ensemble de l'intérêt général, d'objectif à valeur constitutionnelle [DC et 20 février 1981 Il veille néanmoins au respect de l'intérêt général et autorise de la sorte la pratique des validations législatives pourtant contraire au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs [ DC juillet 1980 - L'intérêt général sert également de norme de référence au juge administratif : le Conseil d'État dans l'arrêt Pagès [ CE janvier 1901 ] affirme que "l'administration ne doit se décider que pour des motifs d'intérêt général". [...]
[...] Le développement des structures de partenariat et des procédures consultatives est également de nature à bouleverser la notion d'intérêt général. Les procédures de partenariat (coopération intercommunale, société d'économie mixte ou groupements d'intérêts publics) entraînent une multiplication des acteurs et un émiettement des compétences et favorisent ainsi une transformation des modes de formulation de l'intérêt général qui s'apparente dès lors plus à une conciliation et à un compromis qu'à un véritable arbitrage de l'État. Cette évolution est encore renforcée par le développement des procédures consultatives qui prennent en compte l'avis des personnes concernées par l'adoption d'une décision : la loi du 4 février 1995 a instauré un référendum d'initiative populaire qui permet à un cinquième des électeurs d'une commune de demander "l'organisation d'une consultation sur une opération d'aménagement relevant de la compétence des autorités municipales". [...]
[...] L'intérêt général en droit public français ne se réduit donc pas, comme dans la vision libérale, à la seule protection des libertés et n'est jamais simplement l'addition d'une série d'intérêts particuliers. Toutefois, cette conception volontariste est aujourd'hui fragilisée par la contestation d'un État qui incarne l'intérêt général et s'adapte difficilement aux mutations de la société. L'évolution des démocraties contemporaines tend de fait à promouvoir la diversité des identités et la pluralité des intérêts aux dépens du primat des valeurs communes. L'intérêt général peut-il dès lors demeurer le fondement de l'action publique ou est-il condamné à la disparition ? [...]
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