Selon Portalis, « la science du législateur consiste à trouver, dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun ; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées ».
Agissant dans l'intérêt général, l'administration dispose de certains privilèges par rapport aux particuliers. Son action ainsi que ses propres biens, tant ceux de son domaine public que ceux de son domaine privé, font l'objet d'une protection particulière. L'ouvrage public, quant à lui, se trouve protégé par le principe d'intangibilité qui fait peser sur la propriété privée des conséquences inéquitables.
Dans la plupart des cas, les ouvrages publics font partie du domaine public artificiel qui est affecté à l'usage public (ponts, routes, fossés…) ou à un service public (gares, aéroport, hôpitaux…). Au titre de leur appartenance au domaine public, ces ouvrages sont protégés par le principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité. Au titre de leur qualité intrinsèque d'ouvrage public, ils sont protégés par l'intangibilité.
Une des premières définitions de l'ouvrage public fut donnée par Maurice Hauriou dans ses notes sous l'arrêt Préfet des Bouches-du-Rhône du Tribunal des Conflits de 1909. Il ressort de cet arrêt que l'ouvrage public est, comme le travail public, de nature exclusivement immobilière (contrairement à la notion de domaine public qui englobe meubles et dépendances naturelles).
[...] Cependant la seule absence d'une possibilité de régularisation ne suffit pas à obtenir la démolition de l'ouvrage public irrégulièrement implanté. Ainsi, si aucune régularisation n'est possible, le juge administratif peut imposer la démolition de l'ouvrage mais à la condition qu'il apprécie si cette démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Mais a contrario, la simple possibilité de régularisation a posteriori et la référence à l'intérêt général peuvent justifier leur intangibilité. La référence à l'intérêt général permet de justifier l'intangibilité de l'ouvrage public. [...]
[...] Si un juge accepte d'ordonner la destruction de l'ouvrage public mal planté, l'administration ne serait cependant pas désarmée face à une telle décision. En effet la personne publique pourrait recourir à l'expropriation de manière à régulariser l'ouvrage public. Il semble dès lors plus logique d'indemniser le propriétaire du terrain sur lequel l'ouvrage est planté que d'ordonner la destruction qui ne serait finalement qu'une satisfaction provisoire. Enfin, le juge qui contrôle l'administration fait lui-même un acte administratif puisqu'il vient corriger une erreur de l'administration. Juger l'administration c'est faire acte d'administrateur. [...]
[...] Le juge ne peut accueillir une demande de destruction d'un ouvrage public. Le juge judiciaire ne peut faire cesser la voie de fait que constitue l'implantation irrégulière d'un ouvrage public sur une propriété privée. Enfin le particulier est privé de sa propriété envahie sans qu'il soit fait usage de l'expropriation. Ainsi l'intangibilité des ouvrages publics implique un conflit entre deux ordres : l'ordre public et l'ordre privé. Il s'agit alors de savoir comment concilier l'intérêt général, but justifiant l'intangibilité des ouvrages publics, avec la propriété privée, droit inviolable et sacré (article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen). [...]
[...] L'ouvrage public quoi que mal planté est quand même construit dans l'intérêt général. Ainsi porter atteinte à l'ouvrage public revient à porter atteinte à l'intérêt général. L'intangibilité des ouvrages publics semble donc nécessaire. L'intérêt général doit primer sur l'intérêt des particuliers. Par ailleurs, une raison économique conforte la légitimité de l'intangibilité des ouvrages publics. Si l'on acceptait de le détruire, il faudrait le reconstruire, étant réputé nécessaire à l'intérêt général. Il faudrait donc que la personne publique paye la destruction de l'ouvrage ainsi que sa reconstruction. [...]
[...] Cela suffit à faire obstacle à la démolition de l'ouvrage. Ainsi les cas où une telle démolition serait finalement possible sont très réduits. Cela tient au fait que l'intérêt général est une notion vague que le juge invoque quand il le désire. On peut alors se demander s'il ne serait pas plus sage de donner des critères précis à la notion d'intérêt général avant de procéder à des inflexions de l'intangibilité des ouvrages publics. G. Teboul souligne cela en affirmant que lorsqu'une notion aussi importante que la notion d'intérêt général est à même de justifier une chose et son contraire, n'y a-t-il pas lieu de craindre, quelle que soit la sagesse du juge, le danger de l'arbitraire ? [...]
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