La fonction publique dont se prévaut la France se distingue par le corporatisme qui règne en son niveau hiérarchique le plus élevé. Ce corporatisme apparaît dans la sphère des grands corps de l'État. La notion de corps désigne un ensemble de personnes appartenant à une même catégorie, à une même profession. La presse lui associe souvent celle, plus connotée d'esprit de corps, qui signifie que s'instaure au sein d'un corps constitué une solidarité qui unit les membres du corps contre d'autres corps ou d'autres organisations.
Les pouvoirs publics sont animés par une préoccupation récurrente de réorganiser la machine administrative, c'est ce que l'on appelle la réforme de l'État, selon René Chapus dans son droit administratif général, paradoxalement la réflexion à son sujet est souvent confiée à une de ses cibles : les hauts fonctionnaires des grands corps de l'État.
La notion de corps a progressivement supplanté la notion antérieure de cadre ainsi l'article 17 de l'ordonnance du 4 février 1959 définissait le corps comme "groupant" les fonctionnaires soumis au même statut particulier et ayant vocation aux mêmes grades. Dans quelle mesure la permanence et la stabilité qui caractérise les grands corps s'opposent avec la dynamique qu'implique nécessairement le mouvement de réforme de l'État ?
[...] : L'Etat au risque de la modernisation, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris 258p. ROUBAN, L., Le pouvoir anonyme : Les mutations de l'Etat à la française, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris 237p. SULEIMAN, E., MENDRAS, H., Le recrutement des élites en Europe, La Découverte, Recherches, Paris 264p. DREYFUS, F., EYMERI, J.-M., Science politique de l'administration : Une approche comparative, Economica, Etudes Politiques Paris, 307p. [...]
[...] De même, les membres du Conseil d'État ont aussi un statut très dérogatoire, et en plus, la coutume leur a conféré une réelle indépendance non prévue par les textes. Il s'agit principalement de l'avancement à l'ancienneté, et d'une inamovibilité de fait. Je vais prendre l'exemple de la seule révocation de l'histoire du Conseil d'État. M. Jacomet a été révoqué par Charles de Gaulle en 1960, pour avoir manqué à son obligation de réserve. Alors, non seulement ses collègues, de tous bords, se sont opposés à sa révocation, mais il a finalement été renommé au Conseil par Valéry Giscard d'Estaing en 1978. [...]
[...] Les membres des GC sont donc omniprésents dans la totalité du système administratif. Leur mobilité à l'extérieur du corps, dans les différentes instances politiques ou administratives est souvent ressenti comme une confiscation du pouvoir par les grands corps, dont l'accaparation de la réforme de l'État est une bonne illustration. Ainsi selon Rouban et Bodiguel dans leur ouvrage : Le fonctionnaire détrôné Cette extériorisation de quelques grands corps prestigieux chargés des opérations de contrôle et de supervision a pesé singulièrement lourd dans le retard pris en matière de gestion publique. [...]
[...] La seconde qualité qui pousse les politiques à se tourner vers les grands corps est leur apparente neutralité. En effet, leur inamovibilité permet la neutralité, car ils ne peuvent pas subir de pression de la part de leur hiérarchie ou des politiques, puisque comme nous l'avons vu en première partie les membres des grands corps sont maîtres de leur carrière. D'apparence neutre tout le monde les considère au service de l'intérêt général, et donc les mieux placés pour réformer l'État. [...]
[...] C'est-à-dire pourquoi ils s'opposent souvent à la réforme de l'État. Des intérêts et une vision à défendre Des privilèges à défendre Tout d'abord, les GC cherchent à défendre des privilèges particuliers. Quand un GC s'estime attaqué, ses privilèges remis en cause, on assiste à un phénomène d'auto-défense, issu de l'esprit de corps dont on vient de parler. Les membres des GC de l'État ont une véritable volonté de maintenir une organisation propre susceptible de leur accorder des avantages dans leur statut, leur prestige, et bien sûr leurs possibilités de carrière. [...]
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