« A la recherche des illusions perdues ». Exprimé par Jean-François Brisson à propos du contrôle de légalité, ce constat sévère souligne l'échec d'une certaine conception du contrôle de légalité, contrôle qui, aujourd'hui, revêt plutôt la forme d'un conseil aux collectivités et pose ainsi la question de sa mutation et de son efficacité. Le contrôle de légalité, en perpétuelle rénovation, peut-il ainsi retrouver ces « illusions perdues ? »
La loi du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des collectivités territoriales, marque une étape majeure car elle modifie profondément les rapports entre l'Etat et les collectivités en substituant à la tutelle un contrôle a posteriori de leurs actes. La tutelle « arme donnée au pouvoir central à l'encontre des autorités décentralisées dans l'intérêt de l'unité de l'Etat » était un contrôle a priori sur les actes des collectivités érigé en véritable pouvoir d'opportunité, le tuteur étant partout présent avec des pouvoirs de substitution, d'annulation, et d'approbation. La loi fondatrice de la décentralisation marque donc un tournant avec l'instauration d'un véritable contrôle de légalité.
Cependant, si son organisation est décentralisée, la République n'en demeure pas moins unitaire. L'Etat reste ainsi représenté localement par le préfet, qui voit son rôle conforté : la déconcentration administrative le place en effet au cœur du dispositif étatique territorial et il se voit confier la charge du contrôle de légalité, c'est-à-dire de conformité à la loi des actes émanant des collectivités locales. Ce contrôle s'exerce à l'égard des actes administratifs comme des actes budgétaires et peut donner lieu, selon le cas, à la saisine du tribunal administratif ou de la chambre régionale des comptes.
Ainsi, dans le cadre d'un Etat unitaire décentralisé, les principes de libre administration des collectivités et de contrôle sur celles-ci sont complémentaires ainsi que le montre la lecture de l'article 72 de la Constitution : « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus (…) le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
Cependant, alors qu'il apparaît être un rouage essentiel de l'indivisibilité de l'Etat, il faut pourtant s'interroger sur la pertinence de la suppression du contrôle de légalité. Clairement critiqué pour son émancipation du texte de 1982 et pour son inefficacité, le contrôle de légalité ne semble cependant pas devoir disparaître au vu des nombreuses réformes entreprises pour améliorer son fonctionnement. Cependant, le débat reste alimenté par une partie de la classe politique qui voit dans la volonté perpétuelle de rénover le contrôle de légalité la preuve même de son inefficacité endémique. De plus, dans un contexte d'approfondissement de la décentralisation, l'équilibre entre les principes constitutionnels d'indivisibilité et de libre administration semble difficile à trouver. Finalement, c'est la question de la légitimité du contrôle ainsi « muté » qu'il faut poser : quel rôle assigner aujourd'hui au contrôle de légalité ?
Si le contrôle de légalité est un contrôle en mal de justifications de par ses dysfonctionnements persistants (I), il convient également de le reconsidérer, c'est-à-dire de le prendre en compte sous sa nouvelle forme (II).
[...] Cependant, si le texte est une règle du jeu, il n'est pas tout le jeu. Du contrôle de légalité au contrôle d'opportunité La jurisprudence administrative a reconnu un large pouvoir d'appréciation aux préfets dont les conséquences font débat. Alors que le préfet a compétence liée pour saisir la juridiction financière dans le cadre du contrôle budgétaire, il s'est vu reconnaître une compétence discrétionnaire quant au contrôle de légalité des actes des collectivités. Le Conseil d'Etat, dans son arrêt Brasseur du 25 janvier 1991, a reconnu le caractère éminemment discrétionnaire du préfet en jugeant que le refus de déférer un acte manifestement illégal en dépit d'une demande formulée par un administré est une décision insusceptible de recours. [...]
[...] Ainsi concurrencée, l'arme juridique détenue par le préfet est également contestée sur un autre point de vue : comment justifier ce maintien d'un contrôle alors que la décentralisation, processus irréversible, est de plus en plus approfondie et alors même que les collectivités ont vocation à concourir à la définition de l'intérêt général dans l'exercice des compétences qu'elles sont le mieux à même d'exercer depuis la loi de 2003 ? L'étendue du contrôle de légalité comme moyen de préserver les intérêts nationaux n'est plus, dans cette perspective, autant justifiée qu'en 1982. [...]
[...] Par un arrêt du Conseil d'Etat avril 1986, Commissaire de la République d'Ille et Vilaine, le principe selon lequel l'intervention du préfet proroge le délai du référé (qui est de deux mois) au profit d'une régulation précontentieuse est reconnu. Il s'agit d'un pouvoir de négociation reconnu à l'autorité préfectorale pour un usage plus politique que juridique du déféré afin de dialoguer et de trouver une solution avant le déclenchement de la procédure contentieuse, parfois au mépris de la légalité. L'ambiguïté du contrôle de légalité réside ainsi dans la difficulté à cerner le rôle exactement dévolu au préfet : auxiliaire du juge, censeur des actes locaux, conseil ? [...]
[...] Suite à la mutation du contrôle et à ses défaillances, certains juristes comme J-C Hélin, ont proposé de dessaisir le préfet de cette compétence au profit d'une autorité indépendante ou encore de revenir à la tutelle. Ces propositions, non suivies d'effet, ne sauraient être appliquées car le processus continu de décentralisation entraîne des effets de cliquet sur lesquels il est très difficile de revenir. La tutelle serait donc un retour en arrière très mal perçu par les collectivités qui ont acquis constitutionnellement une relative autonomie. [...]
[...] Par ailleurs, la suppression du contrôle en lui-même n'est pas non plus envisagée. Comme le souligne la Direction générale des collectivités locales dans un rapport de 2000 : le rôle croissant d'expertise juridique des préfectures tend à marginaliser l'aspect contentieux du contrôle de légalité ( ) le contrôle de légalité ne saurait donc être dissocié du rôle de conseil très fréquemment sollicité par les collectivités puisque aussi bien les deux missions souvent alternatives et parfois cumulatives sont effectuées par les mêmes services Aussi, dans cette optique, l'idée d'un contrôle de légalité faible est fausse car il repose sur la seule prise en compte du nombre des déférés. [...]
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