L'histoire politique et institutionnelle française a consacré la coexistence de deux ordres de juridiction : l'ordre administratif et l'ordre judiciaire. Dans les pays démocratiques, le dualisme juridictionnel n'est pas la chose la mieux partagée du monde. Les systèmes dualistes diffèrent, tout d'abord, les uns des autres. Les juridictions administratives française, grecque, belge ou italienne ont une double mission juridictionnelle et consultative, alors que les systèmes espagnol et portugais distinguent deux institutions chargées chacune d'une de ces fonctions, tandis qu'en Allemagne et en Autriche, il n'existe pas même d'institution consultative.
Mais ce sont surtout les structures juridictionnelles anglo-saxonnes qui peuvent amener à poser la question de la légitimité du dualisme français. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, un seul ordre de juridiction juge tous les litiges, y compris ceux qui engagent la responsabilité de l'administration. Le constat de la pluralité des organisations juridictionnelles nous indique qu'aucune n'est essentielle à l'Etat de droit et, en conséquence, qu'il est a priori possible de réformer ce système.
Interroger la légitimité du maintien de deux ordres distincts, c'est essayer de comprendre les principes auxquels il répond et qui l'ont ancré dans les traditions politiques et institutionnelles du pays. Ce n'est qu'à partir de ce constat qu'on pourra tenter d'évaluer l'efficacité actuelle de cette organisation, afin de savoir si, dans la pratique, elle reste conforme aux principes qui la commandent.
Trésor historique du système français, le dualisme juridictionnel n'en a pas moins toujours subi de vives critiques, qu'il a su, au fil du temps, démentir en fondant une organisation rationnelle et efficace (I). Si certains défauts pratiques et théoriques persistent, de nouveaux facteurs de déstabilisation menacent la pérennité de la dualité des juridictions, sans pour autant justifier l'unification d'un système dont la grande force a justement toujours résidé dans sa capacité d'adaptation (II).
[...] Parallèlement, de nouvelles interrogations se font jour et appellent à une redéfinition des rôles. La première réside dans le fait que la juridiction administrative est de plus en plus concurrencée dans sa fonction d‘arrangement des contestations administratives et de contrôle de l'administration. Depuis une 30 d'années, les institutions non juridictionnelles de règlement des litiges administratifs se sont multipliées même si leur efficacité est variable : médiateur, puis toutes sortes d'autres autorités administratives indépendantes tels que les comités de règlement amiable des marchés publics. [...]
[...] Le dualisme juridictionnel français est certes un trésor historique français, dont les principes semblent être aujourd'hui acceptés, et sa légitimité finalement acquise. De plus, on peut se demander si le dualisme n'est pas une forme de spécialisation nécessaire, mais on peut même aller jusqu'à dire qu'il est aujourd'hui plus juste de parler, non pas de dualité, mais de pluralité. Un droit toujours plus complexe pose l'existence d'un droit administratif spécifique comme une exigence. Ainsi, le dualisme français peut être considéré comme une modalité parmi d'autres de la spécialisation croissante du droit, observable, sous d'autres formes, dans d'autres pays. [...]
[...] Ce dernier a pour mission de trancher les conflits de compétence. La seconde critique technique dénonçait l'allongement des procédures : le dualisme ralentit le cours d'un procès en obligeant chacun des deux ordres à poser à l'autre des questions préjudicielles, lorsque se posent des questions de droit privé et de droit administratif ressortissant à la compétence des deux ordres. Consécrations historiques à travers les jurisprudences de Tribunal des Conflits et du Conseil Constitutionnel. Malgré ces critiques précoces, le rôle spécifique de la juridiction administrative par rapport à la juridiction judiciaire fut progressivement affirmé et approfondi par la jurisprudence. [...]
[...] Paris, Domat Montchrestien -Guy Braibant et Bernard Stirn, le droit administratif Français, presses de Sciences-po, 6ème édition. -Dossier Juridiction administrative et juridiction judiciaire ans après la loi de 1790, AJDA 1990, pages 579 à 600. -Pierre Dévolvé, Paradoxe du (ou paradoxe sur le) principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, mélanges Chapus (1992), page 135. [...]
[...] Si l'histoire doit être invoquée pour porter secours à la dualité de juridiction, ce ne doit pas être pour couper court aux critiques, mais, au contraire, pour rappeler que l'ordre administratif les a toujours essuyées, sans jamais plier, car sa force réside justement, depuis toujours, dans sa capacité d'adaptation. Bibliographie -Pierre Legendre, Trésor Historique de l'Etat en France, Fayard, nouvelle édition augmentée -Grégoire Bigot, Les mythes fondateurs du droit administratif RFD, mai- juin 2000. -Jean-Paul Delevoye, Le juge administratif et les libertés publiques RFDA, novembre-décembre 2003. -René Chapus, Droit administratif Général. [...]
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