L'idée de protection a toujours été au cœur des problématiques de droit des propriétés publiques. Dans le domaine matériel, cette idée a été consacrée par des arrêts tels que l'arrêt Marécar de 1935 (critère de l'affectation au public) ou encore l'arrêt Société Le Béton de 1956 (critère de l'aménagement spécial). Cependant, la question de la protection temporelle se pose : comment protéger un établissement qui est voué à entrer finalement dans le domaine public, par le biais de travaux qui constitueront à terme un aménagement spécial ?
Dans les conclusions du commissaire au gouvernement Bernard Chenot, en 1944 à l'arrêt Compagnie Maritime d'Afrique Orientale, naît la thèse d'un service public virtuel : le droit est donné à l'administration, sans intervention du législateur, de soumettre un exploitant privé à un régime de service public.
Abandonnée relativement tôt, car compromettant sérieusement le principe de sécurité juridique, cette théorie trouve un certain écho avec celle de la domanialité publique virtuelle. Bien que non énoncée comme telle, cette thèse est le fait d'une interprétation de l'arrêt Association Eurolat c/ Crédit foncier de France du 6 mai 1958. Dans cet arrêt, le Conseil d'État admet l'application du régime de la domanialité publique à certains biens, en considération de l'affectation au public ou au service public qu'il devait ultérieurement recevoir.
[...] L'expression de domanialité publique virtuelle n'est ni donnée dans l'arrêt Eurolat, ni dans les conclusions du commissaire au gouvernement. MM Moreau et Fatôme dans leur commentaire de l'arrêt font observer que le Conseil d'État ne se contente pas de maintenir son interdiction de constituer des droits réels sur le domaine public. Il l'étend à toutes les dépendances qui, propriétés d'une collectivité publique, affectées à un service public et destinées ( . ) à être aménagées à cet effet», sont appelées à être incorporées dans un bref délai au domaine public Ils ajoutent que la raison de cette extension paraît évidente : interdire l'administration propriétaire d'une dépendance faisant partie du domaine privé de constituer des droits réels sur cette dépendance alors qu'elle sait que ces droits perdront toute valeur le jour très proche où l'aménagement réalisé opérera l'incorporation de la parcelle au domaine public On a pu croire que cette jurisprudence resterait cantonnée à la question de la conclusion de baux et à la création de droits réels sur le domaine public. [...]
[...] Cette distinction entre l'incorporation du bien dans le domaine public et l'application des principes de la domanialité publique posait problème aux praticiens. En outre, pour les hypothèses dans lesquelles un propriétaire public envisage de réaliser sur un terrain nu un immeuble qu'il entend affecter à l'utilité publique - ce sont là les circonstances de l'avis de 1995 - la théorie de la domanialité publique virtuelle, en tant qu'elle se base sur des aménagements non réalisés est un facteur d'insécurité et mènent à la critique. [...]
[...] Ensuite, quand cette préoccupation n'existe pas, la jurisprudence ne consacre pas la théorie de la domanialité publique virtuelle. Ainsi, il est jugé que les terrains apportés par l'État en vue de leur utilisation éventuelle pour l'aménagement d'une autoroute ne font pas partie du domaine public tant qu'ils n'ont pas été affectés (TC 15 janvier 1979 Payan c/Société des Autoroutes du Sud de la France). De même, un immeuble à usage d'habitation acquis par l'Institut de France n'est pas entré dans le domaine public pour la simple raison que son changement d'affectation a été décidé et qu'un projet de travaux ait été décidé. [...]
[...] Bien qu'il ne s'agisse que d'avis et de lectures interprétatives, les formulations du Conseil d'État, parfois bâties sur celles du principe de droit, invitaient à se demander si, au-delà de la prévention des fraudes à la loi, le Conseil d'État n'avait pas voulu consacrer, de façon générale, de nouvelles hypothèses sur la domanialité publique. Et la doctrine s'est-elle aussi interrogée sur l'opportunité d'une telle évolution. * * * La construction de la théorie de la domanialité publique virtuelle a été généralement mal accueillie et critiquée, notamment par M. Fatôme, en raison des nombreux éléments d'incertitude qu'elle comprend. Il est vrai que la formule de l'avis du CE de 1995 n'est pas des plus heureuses, car bien floue : que signifie en effet prévoir de façon certaine»l'affectation du bien ? [...]
[...] Il juge que, ainsi et nonobstant la circonstance que les aménagements envisagés pour l'adaptation de l'immeuble à ce service public n'aient pas encore été réalisés, le Conseil Général de la Meuse, qui avait engagé les opérations destinées à maintenir l'affectation dudit immeuble à un service public, ne pouvait légalement décider de le déclasser Ce jugement pourrait être lu comme une résurgence de la théorie de la domanialité publique virtuelle. Cependant, une fois admis le fait qu'un changement d'affectation maintient la domanialité publique, ne fait que rappeler le Conseil Général à la loi. Une lecture a minima ne conduit pas à envisager la poursuite d'une construction de la domanialité publique virtuelle. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture