Pour le Conseil d'Etat, l'application de l'ensemble des formalités procédurales issues de l'article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) au régime des sanctions infligées par les autorités administratives indépendantes « ne va pas de soit » . « Aussi le respect plus scrupuleux par les autorités administratives indépendantes de l'équité doit-il aller de pair avec un certain réalisme de la part de leurs juges comme des auteurs des textes qui les régissent, afin que la répression administrative conserve son efficacité, c'est à dire sa raison d'être, et demeure pour les autorités de régulation le dernier étage d ‘un ensemble cohérent de pouvoirs » .
Ainsi, si les garanties procédurales doivent en partie s'incliner devant les missions imparties aux AAI, il convient de définir celles-ci. Les AAI sont des structures étrangères, étrangères au droit français en particulier et au droit latin en général qui est basé sur une administration unique et hiérarchiquement organisée ; et étrangère également car elles ont été importées des systèmes juridiques anglo-saxons et scandinaves au début des années 1980. Pourquoi une telle importation ? Dans un de ses rapports publics de 2006 , le Sénat identifie plusieurs raisons : l'influence du droit communautaire qui a imposé la création de certaines AAI telles que la Commission de Régulation de l'Energie en 1996 ou la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité en 2004 ; la libéralisation de secteurs de l'économie anciennement monopolistiques et au sein desquels d'importants coûts (infrastructures et coûts de réseaux) entravent la concurrence ou du moins la contestabilité du marché ; une défiance à l'égard du gouvernement et de l'administration classique, jugés inaptes à réguler certains secteurs de l'économie ; et une exigence de pacification sociale. Créées dans des buts divers, ces agences ont pris des formes diverses. Qu'est ce que le Médiateur de la République a en commun avec l'Autorité des Marchés Financiers ? Dès lors, dans son effort de définition, le Conseil d'Etat s'est attelé à rechercher le plus grand dénominateur commun aux AAI : « les autorités administratives indépendantes peuvent être définies comme des organismes administratifs, qui agissent au nom de l'Etat et disposent d'un réel pouvoir, sans pour autant relever de l'autorité du Gouvernement. » .
Les AAI sont donc une réalité multiple, hétérogène. Dès lors, leurs pouvoirs peuvent être très différents. Si le Défenseur des Enfants exerce seulement un pouvoir de médiation sociale, d'autres agences comme l'Autorité de Régulation des Télécommunications sont dotées de pouvoirs importants. En règle générale, les AAI disposant des pouvoirs les plus étendus et donc du pouvoir de sanction, sont les autorités de régulation, notre propos se limitera donc à celles-ci. Chargées d'une fonction de régulation d'un secteur de l'économie, ces agences ont pour but d'échapper aux lourdeurs des procédures administratives. Elles agissent essentiellement ex-ante à travers par exemple l'édiction de normes propres à un secteur ou l'attribution d'autorisations, mais la reconnaissance d'un pouvoir de sanction efficace semble nécessaire pour asseoir leur crédibilité. Les autorités de régulation peuvent donc sanctionner par elles-mêmes le non-respect des normes qu'elles édictent. Ce pouvoir permet une grande efficacité en contournant les lourdeurs des procédures juridictionnelles et toutes les garanties procédurales qu'elles reconnaissent. Or, sous l'influence du droit européen, les juges judiciaires et administratifs ont successivement estimé nécessaire de compléter le régime juridique des sanctions imposées par les AAI par un ensemble de garanties procédurales semblables à celles reconnues devant les différents tribunaux. On peut dès lors se demander si la « juridictionalisation » du régime juridique des sanctions des autorités de régulation ne pourrait pas nuire à leur efficacité.
Dans un premier temps nous verrons en quoi un pouvoir de sanction est un élément déterminant de la fonction de régulation de certaines AAI, puis nous examinerons les interrogations suscitées par l'interprétation exaltée de la CEDH par les juges nationaux.
[...] En pratique, l'influence de l'article 6 de la CEDH et de son interprétation par le juge national a une implication majeure : les autorités administratives doivent, lorsqu'elles infligent une sanction, démontrer leur impartialité. Cette exigence emporte deux conséquences procédurales. La première et la plus fameuse tient à la délimitation du rôle et des pouvoirs du rapporteur dans la procédure disciplinaire devant les autorités de régulation. En la matière, l'exigence d'impartialité est basée sur la théorie des apparences qui implique que le fait qu'au cours de la procédure devant une agence, certaines personnes, puissent exercer successivement plusieurs fonctions suffit à remettre en cause l'impartialité de cette autorité. [...]
[...] Ce pouvoir est, par exemple, reconnu au Conseil de la Concurrence. Or, rapidement, les juridictions ont eu à trancher la question de savoir si le pouvoir d'auto-saisine ne trahissait pas une présomption de culpabilité de la part de l'autorité de régulation puisque celle-ci a décidé d'agir. Là encore, le Conseil d'Etat a interprété de manière restrictive l'exigence d'impartialité objective en estimant qu'il suffit que l'acte d'auto-saisine ne traduise pas un sentiment déjà constitué à propos de la situation à examiner.[9] Ainsi, l'influence du droit européen a permis d'étendre les garanties procédurales associées aux fonctions juridictionnelles aux procédures de sanctions administratives infligées par les autorités de régulation. [...]
[...] Le pouvoir de sanction des autorités de régulation, la condition d'une régulation économique efficace La régulation économique est un concept issu du droit économique. Il est utilisé pour rendre compte de l'évolution des modes de faire en ce qui concerne l'intervention de l'Etat dans l'économie et se définit en opposition aux formes traditionnelles d'intervention basées sur la création de monopoles et la réglementation abstraite et impersonnelle de la loi et du pouvoir réglementaire. Ainsi, la régulation est destinée à assurer le fonctionnement de systèmes sociaux-économiques complexes en harmonisant les points de vue et en arbitrant entre les divers intérêts en présence, aussi bien en aval pour résoudre des litiges qu'en amont pour fixer des règles du jeu et définir les équilibres souhaitables Ce type d'intervention concerne principalement deux secteurs. [...]
[...] M. Dorkbine, D 1993, chron., p 257 Autorité de régulation du marché boursier, la COB a été remplacée en 2003 par l'Autorité des Marchés Financiers CE, Section, Habib Bank Limited 20 octobre 2000 J.F. Brisson, Le pouvoir de sanction des autorités de régulation, les voies d'une juridictionnalisation Le Conseil Constitutionnel a néanmoins limité cette pratique : le montant global des sanctions ne doit pas dépasser le montant maximum des peines encourues. [...]
[...] Ces garanties procédurales imposées par l'article de le CEDH remettent alors en cause l'efficacité et la rapidité des autorités de régulation La CEDH et la juridictionalisation du pouvoir de sanction des autorités de régulation L'article de la CEDH dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établit par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations à caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle L'ensemble de ces obligations ne s'imposent qu'en matière civile ou pénale mais il faut alors se souvenir que la CEDH est un instrument de droit vivant qui définit de manière autonome ses concepts. Le droit européen n'est donc pas lié par les qualifications juridiques nationales qui ne considèrent pas les autorités de sanction comme des tribunaux, et les sanctions administratives comme des sanctions pénales ou civiles. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture