«Il faut prendre le pouvoir à Paris et le ramener dans les régions. Plus jamais les délibérations des élus locaux ne seront soumises aux préfectures et aux services administratifs. Nos délibérations seront exécutoires de plein droit, dès qu'elles auront été votées». Tels étaient l'état d'esprit et la volonté de Gaston Defferre au moment du vote de la future loi du 2 mars 1982.
Qu'en est-il, aujourd'hui, vingt-huit ans plus tard ? La tutelle est-elle abrogée, les délibérations des élus locaux sont-elles dégagées de toute soumission aux préfectures ?
Il nous faut d'abord définir la tutelle dont il est question.
Au sens administratif du terme, la tutelle s'entend d'un contrôle a priori, en ce qu'il permet au représentant de l'Etat d'annuler les actes des collectivités territoriales pour des motifs à la fois de légalité et d'opportunité. Cela s'apparente donc à une sorte de régime d'autorisation à obtenir pour permettre à une collectivité de décider de son administration.
C'est à ce contrôle a priori que la loi du 2 mars 1982 a entendu mettre fin. Mais, avant déjà, le régime de tutelle avait subi une évolution depuis les lois de 1871 et 1884 applicables aux départements et aux communes, dans le sens d'un allègement du contrôle exercé sur les actes des collectivités. La loi du 31 décembre 1970 sur la gestion municipale et les libertés communales avait elle aussi contribué à l'allégement de la tutelle administrative en réduisant le nombre d'actes soumis à un régime d'approbation préalable. Voulant parachever cette évolution, le législateur de 1982 a donc voulu supprimer entièrement les tutelles administrative et financière afin de garantir au mieux la libre administration des collectivités territoriales. Mais il n'était pas pour autant question de supprimer tout contrôle. Le contrôle des actes des collectivités territoriales est en effet une nécessité pour la sauvegarde des droits et libertés du citoyen. Il s'agit tout à la fois d'assurer l'unité nationale en maintenant les autorités locales dans le respect de la loi, de sauvegarder les intérêts généraux dont l'Etat est, au nom de la Nation, le seul juge et, enfin, de protéger les collectivités locales elles-mêmes, voire les administrés, contre les erreurs ou les abus de leurs représentants élus. La pluralité de ces justifications justifie d'ailleurs l'ambigüité du contrôle de l'Etat sur les collectivités. Celui-ci vise en effet tout à la fois à protéger les intérêts de l'Etat, ceux de la collectivité locale et ceux des tiers, tout en veillant à ne pas empêcher la libre administration des collectivités. Un équilibre doit alors être trouvé entre la nécessité d'un contrôle efficace de la légalité et l'impératif de ne pas entraver l'action locale.
Ainsi, la tutelle administrative a laissé place à un contrôle de légalité, et la tutelle financière a laissé place à un contrôle budgétaire. Désormais, en vertu de l'article 72 alinéa 6, « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». Il ne s'agit donc plus d'un contrôle a priori mais d'un contrôle a posteriori des actes. Ainsi, le Préfet n'a plus le pouvoir d'annuler les actes des autorités locales. S'il estime l'acte illégal, il ne peut que le déférer au juge administratif, seul habilité désormais à prononcer son annulation pour illégalité.
Cependant, la question se pose de savoir si la volonté de Gaston Defferre consistant en ce que « Toutes les tutelles préfectorales et ministérielles soient supprimées » a été entendue, autrement dit, si toutes les dispositions légales instaurant la tutelle ont bien été abrogées au profit de simples contrôles a posteriori.
S'il est exact que nombre de contrôles a priori des collectivités territoriales ont disparu de l'arsenal législatif, force est aussi de constater que la tutelle traditionnelle n'a pas entièrement disparu et que, non seulement quelques-uns de ses aspects sont restés, mais d'autres ont pu voir le jour dans des périodes récentes. L'on constate donc une sorte de paradoxe entre d'un côté un discours résolument décentralisateur, marqué par la suppression de la tutelle, et de l'autre côté une réalité faite d'attentisme et de persistance dans la centralisation, marqué par le maintien d'un contrôle poussé allant même jusqu'au maintien d'une forme de tutelle dans certains cas.
[...] Le préfet peut donc, sur ce point, purement et simplement remplacer les élus dans leur mission d'administration d'un service public. En effet, cette substitution du préfet au maire n'est pas justifiée par une abstention ou une faute du maire ou du conseil municipal et n'est soumise à aucune condition. Tel n'est pas le cas concernant les pouvoirs de police du préfet. C'est en effet seulement en cas de carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police municipale, que le préfet peut prendre les mesures nécessaires au maintien de la sécurité. [...]
[...] La loi du 6 février 1992 a d'ailleurs augmenté les pouvoirs de contrôle des CRC en faveur d'un contrôle préventif sur certaines décisions engageant les collectivités territoriales : marchés publics et délégations de service public. L'on voit dès lors toute la complexité de l'équilibre à tenir entre tutelle et contrôle, l'Etat désirant accorder la liberté nécessaire aux collectivités pour s'administrer librement et disposer d'une autonomie financière certaine, sans pour autant parvenir à s'empêcher de maintenir une certaine forme de tutelle, toujours présente en filigrane (en ce qui concerne le contrôle budgétaire tout du moins). [...]
[...] En effet, le Conseil d'Etat a considéré que le préfet qui s'abstenait de déférer des actes dont l'illégalité ressortait avec évidence des pièces qui lui étaient transmises avait commis une faute lourde de nature à faire engager la responsabilité de l'État (CE oct Ministre de l'Intérieur Commune de Saint Florent et autres). En pratique, le préfet apprécie l'opportunité de la saisine en considérant d'autres éléments que la seule légalité. Ceci est paradoxal au regard du but poursuivi à l'origine par le législateur consistant à confier le contentieux au juge pour un plus grand respect du principe d'égalité. Le préfet dispose donc d'une grande liberté d'appréciation. Cette liberté n'est-elle pas contraire au principe d'égalité ? [...]
[...] Ainsi, le Préfet n'a plus le pouvoir d'annuler les actes des autorités locales. S'il estime l'acte illégal, il ne peut que le déférer au juge administratif, seul habilité désormais à prononcer son annulation pour illégalité. Cependant, la question se pose de savoir si la volonté de Gaston Defferre consistant en ce que Toutes les tutelles préfectorales et ministérielles soient supprimées a été entendue, autrement dit, si toutes les dispositions légales instaurant la tutelle ont bien été abrogées au profit de simples contrôles a posteriori. [...]
[...] En estimant que le préfet n'avait pas l'obligation mais seulement la faculté de saisir la juridiction, le juge a doté l'autorité préfectorale d'un large pouvoir d'appréciation. C'est par sa décision du 25 février 1991, dans l'affaire Brasseur, que le Conseil d'Etat a affirmé sa position. Les tiers lésés par l'acte de la collectivité peuvent aussi demander au préfet de mettre en œuvre la procédure de déféré mais la saisine du juge administratif relève encore du pouvoir discrétionnaire du préfet qui peut refuser de déférer. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture