Le juge administratif n'a pas la réputation d'être friand de doctrine. Certains arrêts rendus par le Conseil d'Etat au cours des dernières années peuvent, à cet égard, susciter quelque étonnement. La notion de "hiérarchie des normes", qui sent son kelsénisme, y est, en effet, à diverses fins, explicitement employée (par ex.: CE, Ass., 28 juin 2002, Villemain). Mais, si dans la bouche de magistrats tout pragmatiques, le mot détonne un peu, il est bien naturel qu'à la chose ainsi désignée, le juge administratif soit confronté: cette rencontre est inhérente aux fonctions d'un juge.
Comme tout juge, le juge administratif est d'abord chargé de trancher les litiges en application de règles de droit. Ces règles peuvent êtres contradictoires. Il faut bien, alors, choisir entre elles. L'un des critères du choix repose précisément sur le fait que les règles sont hiérarchisées: entre deux normes d'inégale valeur, le juge doit normalement préférer la norme supérieure. Cela suppose évidemment que le rang hiérarchique des prescriptions en présence soit, d'une manière ou d'une autre, établi.
A cette première fonction, que l'on peut appeler juridictionnelle, s'en ajoute une seconde, qualifiable de jurisprudentielle: le juge est parfois contraint de créer lui-même les règles qui lui permettront de vider les contentieux qui lui sont soumis. Dès lors, la question se pose naturellement du rang hiérarchique des normes jurisprudentielles.
Ces données, à vrai dire tout à fait élémentaires, se présentent sous un jour particulier pour le juge administratif.
Il n'est guère besoin d'insister sur le fait que la fonction jurisprudentielle de ce dernier est tout particulièrement développée.
Dans sa fonction juridictionnelle entre notamment le contrôle de la légalité des décisions administratives. A ce titre, le juge administratif ne doit pas seulement respecter lui-même la hiérarchie des normes; il est aussi chargé de la faire respecter par les normes que l'administration édicte.
La hiérarchie des normes à laquelle le juge est confronté et dans laquelle sa propre production normative s'insère n'est pas immuable. La tradition juridique française a été dominée par le culte de la loi. Deux conséquences s'en sont suivies. Sur le terrain juridictionnel, dans une perspective libérale, le contrôle de légalité a été initialement conçu comme un moyen d'assujettir le pouvoir exécutif au respect des actes du pouvoir législatif; la légalité tendait à réduire à la loi, sur laquelle le juge administratif ne pouvait d'ailleurs exercer aucune censure. Sur le terrain jurisprudentiel, le juge administratif a longtemps été et demeure réticent à reconnaître ouvertement son pouvoir normatif; cela ne le place pas dans les meilleures conditions pour résoudre clairement la question du rang hiérarchique des normes qu'il crée. Ces données traditionnelles ont progressivement évolué après 1945: l'affirmation de la théorie des principes généraux du droit a conduit à poser carrément la question de la valeur juridique des normes jurisprudentielles, le bloc de légalité imposé à l'administration s'est enrichi de bien d'autres types de normes que les lois (engagements internationaux, règles constitutionnelles, notamment), la souveraineté de la loi a été battue en brèche (institution d'un contrôle de constitutionnalité en 1958.
La hiérarchie des normes se présentent ainsi aujourd'hui comme une réalité éminemment complexe, que le juge administratif a contribué à construire (I) et dont il lui incombe, en partie, d'assurer le respect (II).
[...] Il n'y a plus d'écran législatif et l'acte administratif peut être censuré. En second lieu, même après l'arrêt Sarran (précité), le juge administratif demeure incompétent pour contrôler la constitutionnalité des normes internationales (CE juill Commune de Porta). Il ne saurait donc annuler une décision administrative prise conformément à un engagement international qui serait lui-même contraire à la Constitution, car cela reviendrait à dénoncer l'inconstitutionnalité dudit engagement. On retrouve le jeu de l'écran, qui n'est plus législatif mais international. Tout au plus, quand la contrariété d'une convention internationale à la Constitution n'est pas expresse, est-il possible d'interpréter la première de telle manière qu'elle soit conforme à la seconde Ass juill Koné). [...]
[...] Une règle de hiérarchie aussi claire paraît réduire le rôle du juge à une simple constatation de l'état du droit. Le cas de l'article 55 montre, néanmoins, que toute interprétation n'est pas exclue. Ainsi, en premier lieu, il ressort de la jurisprudence du Conseil d'Etat que la supériorité instituée par l'article 55 de la Constitution ne vaut pas seulement pour les conventions internationales stricto sensu, mais aussi bien pour le droit communautaire dérivé, règlements (v. not. CE sept Boisdet) et directives (v. not. [...]
[...] Il convient d'ajouter que les interprétations juridictionnelles des règles hiérarchiques écrites ne sont pas toujours très nettes elles-mêmes. Ainsi, selon les arrêts Aquarone Ass juin 1997) et Paulin (CE juil. 2000), ni l'article 55 de la Constitution, qui ne vise que les traités ni aucune autre disposition constitutionnelle, notamment l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 (la République "se conforme aux règles du droit public international"), ne prescrit ni n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale ou les principes généraux du droit international sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes. [...]
[...] Le juge administratif est parfaitement compétent pour constater cette abrogation. De manière générale, en effet, il a le pouvoir de vérifier si une loi est toujours en vigueur ou si elle ne l'est plus. Les choses sont plus délicates quand sont confrontés un engagement international et une loi postérieure. La jurisprudence a connu sur ce point une évolution. Dans un premier temps, le juge administratif, comme le juge judiciaire, a refusé de faire prévaloir le traité ou l'acte dérivé sur la loi postérieure qu'il méconnaît Sect., 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France). [...]
[...] Un tel impératif de compatibilité gouverne souvent les rapports des normes d'urbanisme. On peut à cet égard relever une solution qui, fondée sur un état du droit dépassé, n'en demeure pas moins significative du sens général de la notion de compatibilité. Selon cette solution, l'exigence que les plans d'occupation des sols (POS) fussent compatibles avec les schémas directeurs imposait que la différence entre ces deux normes ne remît en cause ni les options fondamentales du schéma, ni la destination générale des sols qu'il prévoyait Ass févr Adam). [...]
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