Souvent le droit administratif est tel une cité rebâtie sur ses propres ruines : çà et là, des traces de sa gloire passée subsistent et parfois même servent de base à des monuments nouveaux ; en tous les cas rien n'a vraiment su mourir. Le principe d'intangibilité de l'ouvrage public, que beaucoup croyaient disparu, fait partie de ces bâtiments construits sur les murs des siècles passés.
A ses débuts, ce grand principe empêchait de manière générale toute possibilité pour le requérant de demander la destruction d'un ouvrage public construit sur sa propre propriété. Il convient de définir plus précisément ce principe et l'idée souvent avancée de sa mort:
- Nous sommes ici dans le droit administratif des travaux publics, et plus particulièrement dans le domaine de l'ouvrage public, que l'on peut définir simplement comme étant le résultat d'une opération de travail public. Il répond à plusieurs critères qu'il n'est pas vain de rappeler dès à présent : il doit être un ouvrage de l'homme et un ouvrage immobilier, par nature ou par destination ; il doit aussi être affecté à l'intérêt général. Quant à l'appartenance à une perpub, elle est en principe requise, mais il a parfois été admis qu'une personne privée puisse être propriétaire.
- L'intangibilité vise, par définition, à rendre une chose impossible à atteindre ; en d'autres termes cela signifie que l'ouvrage public, une fois construit, ne saurait en aucun cas être atteint dans sa substance ? en tout cas sans que cela ne soit la volonté de l'administration.
- Le glas, quant à lui, retentissait jadis pour annoncer la mort de quelqu'un, et durait même dans certains villages du Sud tout le temps de son agonie.
Le principe d'intangibilité de l'ouvrage public, avant que l'on crût l'entendre expirer, puisait ses sources dans une jurisprudence séculaire ; il avait même, chose rare en notre époque, donné naissance à un adage, attribué au Doyen Hauriou : ouvrage public mal planté ne se détruit pas. Ainsi au nom de cette intangibilité, le juge, quelque fût son rang, ne pouvait par exemple ordonner ni la démolition , ni le déplacement , ni même l'exécution de nouveaux travaux sur un ouvrage public préexistant. Mais si c'est par la jurisprudence qu'il a été consacré et par la doctrine salué, c'est au par ces mêmes acteurs qu'il se vit progressivement remis en cause. La jurisprudence s'assouplissait au fil des affaires, jusqu'à ce qu'elle accepte finalement que le juge ? administratif ? puisse enfin porter atteinte par ses décisions à l'intégrité ou au fonctionnement des ouvrages publics, ce que nous verrons en détails au long de cette étude. A tel point qu'aujourd'hui, l'on ne sait plus si le principe subsiste encore, et que d'aucuns ont cru entendre le « glas » annonçant sa mort.
Qu'en est-il réellement ? Le principe a-t-il vraiment été vidé de sa substance, voire même définitivement anéanti, comme le prétendent des auteurs, à tel point qu'on ne puisse désormais plus parler que d'une espèce de tangibilité de l'ouvrage public ? Ne serait-il pas plus prudent de voir dans la jurisprudence, plutôt que des inflexions répétées visant la chute du colosse, une mutation globale ? (...)
[...] A la base, l'expression provient de J. Morand-Deviller : v. Cours de Droit administratif des biens, 5e édition, Montchrestien J. Morand-Deviller, op. cit. CE 10 mars 1905 Berry. CE 19 octobre 1986 Époux Weibel. L. Duguit, Traité de Droit constitutionnel, Tome III, p & s . [...]
[...] Un coup de grâce porté au principe d'intangibilité de l'ouvrage public. En 2002, le 6 mai, le Tribunal des conflits rendait un arrêt Époux Binet, dans lequel était décidé que les conclusions dirigées contre le refus de supprimer ou déplacer un ouvrage public et ordonnant ce déplacement ou cette suppression ne peuvent relever que du juge administratif, sauf en cas de voie de fait. Ainsi, deux avancées sont réalisées : l'une, corrigeant ce qui était désormais presqu'unanimement considéré comme une injustice, autorisant le juge judiciaire à porter atteinte à l'ouvrage public en cas de voie de fait (immédiatement confirmé par C. [...]
[...] DISSERTATION Le glas a-t-il sonné pour le principe d'intangibilité des ouvrages publics ? Souvent le droit administratif est tel une cité rebâtie sur ses propres ruines : çà et là, des traces de sa gloire passée subsistent et parfois même servent de base à des monuments nouveaux ; en tous les cas rien n'a vraiment su mourir. Le principe d'intangibilité de l'ouvrage public, que beaucoup croyaient disparu, fait partie de ces bâtiments construits sur les murs des siècles passés. A ses débuts, ce grand principe empêchait de manière générale toute possibilité pour le requérant de demander la destruction d'un ouvrage public construit sur sa propre propriété. [...]
[...] Ainsi ce n'est pas parce que le juge a permis des inflexions au principe d'intangibilité que celui-ci a disparu : après avoir brièvement étudié l'application jurisprudentielle du nouveau régime de 2003, il convient de s'interroger sur la valeur qu'a désormais le principe. La nécessaire survivance d'un principe assoupli. Le principe d'intangibilité vit toujours, quoiqu'assoupli ; les raisons sont nombreuses (1.). Une survivance justifiée. La justification la plus certaine et la plus palpable dans la jurisprudence est bien celle de l'intérêt général, auquel la démolition ne doit pas porter une atteinte excessive. [...]
[...] Par cette décision la Cour ne venait alors pas éteindre le principe de l'intangibilité de l'ouvrage public, mais le priver de l'une de ses conséquences les plus marquantes. C'est notamment du fait de ce dernier arrêt que beaucoup ont cru voir le principe d'intangibilité mourir ; en réalité, la lettre même du sujet de cette étude résulte d'un amalgame : si l'expression est empruntée à Jacqueline Morand-Deviller, celle-ci parlait bien du glas de l'expropriation directe, non du principe d'intangibilité en lui-même Il est à noter enfin, sur ce point, que les ébranlements du principe d'intangibilité furent aussi d'origine législative. [...]
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