Adolphe Thiers disait : « l'Etat n'indemnise jamais des malheurs de la guerre ; il n'indemnise que des dommages volontaires, intentionnels, réfléchis, dont il est l'auteur ». Cette citation reflète la position du juge administratif, qui pendant longtemps s'est refusé à reconnaitre la responsabilité de l'administration pour des faits de guerre, et notamment pour les actes de persécutions perpétrés sous Vichy durant la Seconde Guerre mondiale. Ce n'est qu'au terme d'une très lente maturation des esprits que le juge administratif a admis la responsabilité juridique de l'Etat Français du fait de sa participation active aux activités de déportations sous l'Occupation (CE, Ass., 12 avril 2002 - Papon). C'est dans le prolongement de cette jurisprudence récente que s'inscrit l'avis consultatif soumis à notre étude, rendu par la section du contentieux du Conseil d'Etat, le 16 février 2009.
En l'espèce, Mme Hoffmann-Glemane a introduit le 26 décembre 2006 devant le tribunal administratif de Paris une action en responsabilité solidairement dirigée contre l'Etat et la SCNF. La requérante, fille de déporté juif, demandait dans un premier temps la réparation à hauteur de 200 000 euros du préjudice subi par son père, dont elle est l'ayant-droit pour moitié, à raison des mesures de privations de liberté dont il a été la victime, ainsi que des souffrances provoquées par les conditions inhumaines de transport au cours de la déportation et finalement, de sa mort au camp d'Auschwitz. Elle demandait d'autre part la réparation du préjudice dont elle a été directement victime à raison des souffrances endurées pendant et depuis l'Occupation, lequel avait été évalué à 80 000 euros. L'examen de la responsabilité de la SCNF est d'emblée écarté par la juridiction administrative car le Conseil d'Etat s'est déjà déclaré incompétent pour connaitre de ce genre d'action dirigées contre la SNCF (CE, Ass., 21 décembre 2007, Lipietz) (...)
[...] L'examen de la responsabilité de la SCNF est d'emblée écarté par la juridiction administrative car le Conseil d'Etat s'est déjà déclaré incompétent pour connaitre de ce genre d'action dirigées contre la SNCF Ass décembre 2007, Lipietz). Cependant, concernant les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat dans le cas de l'espèce, le Tribunal Administratif de Paris, s'estimant face à requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, a fait parvenir une demande d'avis consultatif au Conseil d'Etat, en application de l'article L.113-1 du code de justice administrative. [...]
[...] La transmission du caractère patrimonial du droit à réparation a été admise depuis longtemps par le Conseil d'État pour les préjudices matériels sect juill Mouret). En outre, depuis 2000 le Conseil d'Etat admet que le droit à réparation de préjudices résultant des souffrances physiques, de la douleur morale et des conditions d'existence subis par la victime décédée puisse être exercé par les héritiers de la victime alors que celle-ci n'avait introduit aucune action en réparation avant son décès sect mars 2000, Assistance publique-Hôpitaux de Paris Consorts Jacquié). [...]
[...] Son raisonnement était basé sur l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine, laquelle constatait la nullité de tous les actes juridiques émanant de l'Etat français Cette constatation revêtant nécessairement une portée rétroactive, les actes individuels pris sur la base de tels textes été regardés comme dépourvus de toute base juridique Par conséquent, aucune indemnisation ne pouvait être accordée aux victimes de persécutions antisémites Ass janvier 1952 : Epoux Giraud) tout comme la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée en raison des activités de la milice française Ass juillet 1952 - Dlle Remise). Finalement, cette position du Conseil d'Etat revenait à assimiler le régime des dommages nés des actes dits lois émanant de l'Etat Français à celui des dommages de guerre, lequel se caractérise par une extrême sévérité : l'Etat est irresponsable par principe, sauf si le législateur a expressément instauré un régime de réparation. Ce refus de reconnaitre la puissance publique responsable du fait des actes antisémites commis par le gouvernement de Vichy a été vivement critiqué par la doctrine. [...]
[...] L'avis rendu par le Conseil d'Etat en 2009, s'inscrivant dans un cadre plus général, prolonge cette jurisprudence et l'amplifie. B. Le prolongement de la jurisprudence Papon : la réaffirmation solennelle de la responsabilité pour faute de l'Etat Dans le cadre d'un raisonnement plus général que celui de l'affaire Papon, le Conseil d'Etat confirme solennellement l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait du caractère fautif des agissements du gouvernement de Vichy et des préjudices exceptionnels qui en ont découlé La faute réaffirmée comme fondement de la responsabilité de l'Etat Dans le présent avis, le régime de responsabilité pour faute de la puissance publique à raison de la déportation tel qu'il est consacré par l'arrêt Papon, trouve une assise juridique. [...]
[...] La section du contentieux du Conseil d'Etat répond aux questions posées par le tribunal administratif par un raisonnement inversé, qui n'est pas dépourvu de signification. En effet, la haute juridiction administrative affirme avant tout la responsabilité de l'Etat fondée sur les fautes commises et les préjudices causés par lui, s'inscrivant ainsi dans le prolongement de la jurisprudence Papon de 2002. Elle n'examine qu'en second lieu les modalités de la réparation, qui doivent être à la fois financières et symboliques, et considère enfin sans objet la question de la prescription - pourtant centrale partant du constat que tous les préjudices ont été réparés. [...]
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