L'arrêt « Mme P » a été rendu par l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat le 30 Octobre 2009. Cet arrêt est fondamental en ce qu'il opère d'une part, un revirement total de sa jurisprudence antérieure dite « Cohn-Bendit » de 1978, permettant ainsi à tout justiciable de se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre une décision individuelle, des dispositions d'une directive communautaire non transposée ; et d'autre part, en ce qu'il conçoit un régime particulier de la preuve en matière de discrimination.
Cette décision marque l'aboutissement d'une démarche européenne entreprise par le juge administratif il y a plus de 30 ans. Comme les Etats membres de l'Union, il se rallie désormais, pleinement, à la position de la Cour de Luxembourg, et permet de parfaire un véritable droit européen commun à tous les Etats (...)
[...] En l'espèce, le Conseil d'Etat constate l'absence de dispositions inconditionnelles de la directive communautaire du 27 Novembre 2000, et en déduit ainsi qu'elles sont dépourvues d'effet direct. Autrement dit, la directive n'est pas applicable. Il va donc encore plus loin que sa jurisprudence Arcelor de 2007, en reconnaissant, à tout justiciable, la possibilité d'invoquer une directive, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel qui lui est contraire, et ce, même si la directive n'a pas fait l'objet d'une transposition en droit interne. [...]
[...] Le 12 Février 2010 8 Page II/ Le rappel des limites à l'applicabilité directe des directives communautaires opéré par le juge administratif Le Conseil d'Etat rejette le pourvoi en raison de l'absence de dispositions précises et inconditionnelles de la directive invoquée Ces dispositions n'ayant pas d'effet direct, les règles de la charge de la preuve ne peuvent, en conséquence, être appliquées et, par pure création prétorienne, le juge administratif en dégage de nouvelles L'absence de dispositions précises et inconditionnelles En l'espèce, le Conseil d'Etat affirme la possibilité pour tout justiciable de se prévaloir à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive ( ) Dans cette perspective, le juge administratif confirme définitivement sa démarche européenne, entreprise dès le 20 Octobre 1989 avec l'arrêt Nicolo par lequel il avait admis la supériorité des directives communautaires sur les lois françaises. Il convient également de préciser qu'en 2007, le Conseil d'Etat a déjà fait, de manière considérable, progresser le droit, en reconnaissant la supériorité des directives européennes en droit interne sur les règlements, et même sur la Constitution française Ass Février 2007). En effet, il a fixé les conditions dans lesquelles il peut exercer un contrôle de constitutionnalité. [...]
[...] ] Sur la légalité des décisions attaquées: Considérant que Mme P soutient, à l'appui de sa requête, que le garde des sceaux, ministre de la justice, aurait commis une erreur de droit en écartant sa candidature au poste de chargé de formation à l'Ecole nationale de la magistrature en raison de son engagement syndical et aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en préférant celle de Mme B ; Considérant que la requérante invoque le bénéfice des règles relatives à la charge de la preuve fixées par l'article 10 de la directive 2000178/CE du Conseil du 27 novembre 2000, dont le délai de transposition expirait le 2 décembre 2003, antérieurement à la date des décisions attaquées, alors que cette disposition n'a été transposée de manière générale que par l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations; Considérant que la transposition en droit interne des directives communautaires, qui est une obligation résultant du Traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle ; que, pour chacun de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit commun de l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques ; que tout justiciable peut en conséquence demander l'annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directive@ pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives 1qu'en outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires; Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la directive du 27 novembre 2000 : 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement. / 2. [...]
[...] Il n'est pas inutile de préciser que le Traité de Rome définit les directives communautaires (article 249) comme des actes contenant des objectifs à atteindre. En conséquence, il appartient aux Etats de se donner les moyens juridiques d'atteindre ces buts, en transposant la directive, soit par la loi, soit par le règlement. Le 12 Février 2010 6 Page En outre, par cet arrêt, le Conseil d'Etat confirme la décision relative à la Loi pour la confiance dans l'économie numérique du 10 Juin 2004, par laquelle le Conseil Constitutionnel a dégagé l'existence d'une obligation constitutionnelle de transposition de l'article 88-1 de la Constitution. [...]
[...] L'inversion de la charge de la preuve en matière de discrimination : l'office du juge En l'espèce, la Haute juridiction admet que de manière générale, il appartient au juge administratif ( ) de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit ( ) s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine [discrimination] et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes ( ) ; que la conviction du juge ( ) se détermine au vu de ces échanges contradictoires ( ) Le juge administratif considère ici que les règles de la charge de la preuve ne peuvent être appliquées, car les dispositions de la directive, qui ne sont pas inconditionnelles, n'ont pas d'effet direct et sont donc inapplicables. Il va alors fixer lui-même les règles de preuve en matière de discrimination et soumet la requérante au droit commun de la preuve, en respectant le principe du contradictoire (assurer les droits de la défense) : celle-ci doit constituer un faisceau d'indices pour le juge qui ouvre un mécanisme de présomption. Le 12 Février P a g e L'administration fournit également des éléments pour justifier sa décision. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture