Léon Duguit le qualifiait de « pierre angulaire » du droit administratif, Marcel Waline de « véritable révolution jurisprudentielle ». Pour un nombre important de juristes, la décision « Blanco », rendue le 8 février 1873 par le Tribunal des Conflits, fait en effet office d'arrêt fondateur du droit administratif.
Qui eût pu croire que les malheurs d'une innocente fillette bordelaise de cinq ans et demi seraient un jour à l'origine de l'un des plus importants bouleversements juridiques du droit français ? (...)
[...] Le corollaire de l'existence de règles spéciales réside dans la compétence de la juridiction administrative pour connaître de cette responsabilité, en application avec la loi des 16 et 24 août 1790 qui interdit aux tribunaux judiciaires de troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations du corps administratif Par cette décision, on reconnaît sans distinction le fait que le droit administratif déroge certes aux règles du droit civil, mais qu'il constitue également un système juridique propre, avec sa logique et ses solutions. Est ainsi posée de manière claire, rationnelle, et définitive l'autonomie du droit administratif. [...]
[...] Sous la présidence du garde des Sceaux de l'époque Jules Dufaure, venu trancher le partage des voix, le Tribunal des Conflits confirme l'arrêté en date du 8 février 1873, estimant que l'autorité administrative est seule compétente pour juger l'affaire, au motif désormais célèbre que la responsabilité qui peut incomber à l'Etat, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code Civil pour les rapports de particulier à particulier Cette décision Blanco du Tribunal des Conflits est à replacer dans son contexte : celui d'une évolution et d'une autonomisation frappante de la justice administrative, spécialement avec la loi Dufaure du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d'Etat. Elle-même va intrinsèquement participer à l'autonomisation du droit de l'administration. Si aujourd'hui, la doctrine moderne juge pour la plupart obsolètes voire périmées les conceptions défendues par le Tribunal des Conflits dans cette décision, eu égard à l'évolution jurisprudentielle notable de ces cent trente-cinq dernières années, l'arrêt Blanco n'a pour autant rien perdu de son prestige, et conserve clairement le caractère mythique propre à sa réputation d'arrêt fondateur du droit administratif. [...]
[...] L'arrêt Blanco victime d'une mythification doctrinaire Une trentaine d'années après sa proclamation, l'arrêt Blanco est redécouvert par la doctrine qui le rendra victime d'une véritable mythification, qui a indéniablement son rôle à jouer dans le fait qu'il soit aujourd'hui considéré comme la décision fondatrice du droit administratif. Son aspect politiquement très consensuel (II.B-1) va notamment lui permettre de devenir le porte étendard de la théorie du service public fondée par l'ancien doyen de la Faculté de droit de Bordeaux Léon Duguit, aujourd'hui très largement contestée par la doctrine (II.B-2). [...]
[...] Le rejet des dispositions du Code Civil L'apport considérable de l'arrêt Blanco ne vaut pas que pour la compétence des juridictions administratives, elle prévaut également pour ce qui est du fond du droit administratif. Par la courte phrase suivante, aux accents éminemment laconiques : la responsabilité qui peut incomber à l'Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code Civil, pour les rapports de particuliers à particuliers le Tribunal des Conflits rejette expressément la compétence du juge judiciaire et l'application du droit civil, alors qu'il s'agit pourtant d'une manufacture de tabacs qui a une grande ressemblance avec une industrie privée et que les ouvriers incriminés sont en dehors de toute hiérarchie administrative La raison de ce rejet est double. [...]
[...] L'arrêt Blanco nous avons pu nous en rendre compte, a effectivement joué un grand rôle pour ce qui fut de rationnaliser le droit administratif, en affirmant le critère de sa compétence mais également en consacrant très distinctement sa spécificité. Toutefois, cette décision, aussi importante qu'elle puisse être, ne fonde pas pour autant le droit administratif. II . l'arrêt Blanco ne fonde pas le droit administratif pour autant L'arrêt Blanco ne fonde pas à lui seul le droit administratif, construit très ancien qui le précède largement. Il se contente en effet de systématiser des solutions antérieures, notamment celles présentées par le Conseil d'Etat dans un arrêt Rothschild du 6 décembre 1855 (II.A). [...]
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