« Ouvrage public mal construit ne se détruit pas », tel est l'adage qui avait vocation à s'appliquer aux ouvrages publics construits sur la base d'un acte administratif illégal. Cet adage avait pris du plomb dans l'aile depuis l'arrêt du Conseil d'Etat « Denard et Martin » du 19 avril 1991 qui avait sous-entendu qu'en cas d' « erreur manifeste d'appréciation » du maire, l'ouvrage public aurait put être démoli. On aurait pu croire que l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 janvier 2003 « Syndicat départemental de l'électricité et du gaz des Alpes-Maritimes » avait définitivement enterré l'adage en posant comme condition soit la régularisation de la construction de l'ouvrage public et dans le cas de l'impossibilité de cette régularisation, le juge devait établir un bilan coût-avantage qu'entraînerait la démolition de l'ouvrage public (...)
[...] Le contrôle a posteriori de l'opportunité de la destruction de l'ouvrage public Le fait que le juge se place, ici dix ans après la construction de l'ouvrage public litigieux, la cale ayant en effet construite en 1999, pourrait laisser penser que cela fausse quelque peu la donne. En effet, en l'espèce, le Conseil d'Etat est simultanément saisi d'une demande d'annulation du refus d'ordonner la démolition, pour laquelle il devra statuer en se plaçant à la date d'émission de l'acte, ainsi que d'une demande d'injonction pour laquelle il devra se placer à la date où il statue. In cohérence de plus dans le système du contentieux de la démolition des ouvrages publics. [...]
[...] Ainsi, dans cet arrêt le Conseil d'Etat fait-il primer un intérêt principalement économique au regard de l'activité conchylicole du secteur, certes d'importance, sur un intérêt environnemental, d'importance également. Dans un tel cas, lorsque des intérêts particuliers s'opposent aussi violemment, on aurait pu penser que le fait que l'implantation soit irrégulière ferait trancher le juge en faveur de la démolition de la cale, dont le coût de la construction n'est de plus pas faramineux et qui aurait pu être aisément remplacée par un aménagement moins visible. [...]
[...] Mais c'est peut-être néanmoins la décision la plus judicieuse que le Conseil d'Etat pouvait prendre ici car s'il n'avait pas fusionné ces deux types de contentieux en statuant uniquement sur l'intérêt général, on aurait pu aboutir à une solution des plus contradictoires. En effet, le juge aurait pu estimer qu'au regard de l'inexistence d'un intérêt public, l'acte devait être annulé tout en refusant la démolition de la cale d'accès à la mer au regard de l'intérêt général. Le Conseil d'Etat pose ici la question de l'unification en ce qui concerne le contentieux de la démolition des ouvrages publics, du contentieux de l'excès de pouvoir et du contentieux de pleine juridiction qui aurait était en l'espèce la bienvenue pour une meilleure intelligibilité de l'arrêt pour les justiciables. [...]
[...] De plus, on pourrait même dire qu'il semble que le Conseil d'Etat fait prévaloir les intérêts économiques particuliers des conchyliculteurs de la région sur un intérêt qui par nature relève de l'intérêt général, celui de la préservation de l'environnement. Surtout que dans un arrêt du 9 juin 2004 Commune de Peille le Conseil d'Etat avait jugé que l'atteinte porté à un paysage que la loi avait entendu préserver était de nature à justifier la démolition d'un ouvrage public. Ainsi la solution retenue par le Conseil d'Etat rend-elle difficilement prévisible, pour l'avenir, les solutions qu'elle retiendra. [...]
[...] Il va ainsi pouvoir venir préciser les conditions d'application de sa jurisprudence de 2003 sur la nature des intérêts à mettre en balance pour estimer la solution, destruction ou maintien de l'ouvrage public, qui porte le plus préjudice à l'intérêt général. Cet arrêt démontre bien la difficulté, malgré le revirement de jurisprudence de 2003, de détruire l'ouvrage public irrégulièrement implanté tout en mettant en exergue une certaine incohérence du contentieux de la destruction de l'ouvrage public (II). Ces éléments posent donc en toile de fond la question de la sécurité juridique pour les particuliers, alors que les éléments de justification retenus par le Conseil d'Etat semblent à même de justifier une chose et son contraire et ainsi de rendre des décisions en la matière relativement peu prévisibles pour les individus. [...]
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