Par l'arrêt du 25 mai 1997, dit « Préfet de Police c/ TGI de Paris », le Tribunal des conflits devait se prononcer sur le conflit de compétence entre les deux ordres de juridiction au sujet du litige opposant la compagnie de transport maritime Baum et Co Gmbh et MM. X… et Y… au ministre de l'Intérieur. Lors d'une escale, dans un port français, d'un navire exploité par l'entreprise de transport maritime Baum et Co Gmbh, l'autorité française a pris à l'encontre de deux passagers de nationalité marocaine, MM. X…. et Y…., une décision de refus d'entrée sur le territoire national, et les a maintenu à bord du bateau. La société Baum et Co Gmbh et les deux passagers en question ont contesté devant le juge des référés du tribunal de grande instance (TGI) de Paris cette décision et ont demandé qu'il soit fait injonction à l'autorité administrative de les laisser débarquer dans la zone d'attente instituée par l'art 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Le préfet de police de Paris a engagé la procédure relative à « conflit positif d'attribution », qui a pour but de protéger l'administration contre les empiétements de l'autorité judiciaire.
Cette affaire pose clairement deux problèmes de droit qui permettent de déterminer l'autorité compétente au-delà des critères généraux de répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire. Le Tribunal des conflits répond aux deux problèmes en confirmant l'analyse du préfet de police. Ainsi, selon la juridiction paritaire, « les dispositions précitées de l'article 136 du code de procédure pénale ne sauraient fonder en l'espèce la compétence du magistrat des référés du tribunal de grande instance de Paris pour connaître de l'action engagée par MM X… et Y… » et les mesures prises en l'espèce à l'égard de MM X… et Y… ne sauraient « être regardés comme constitutifs de voies de fait ». Par conséquent le Tribunal des conflits conclut « qu'il n'appartenait qu'aux juridictions de l'ordre administratif de connaître du litige soulevé devant le tribunal de grande instance de Paris et que le conflit a été élevé à bon droit par le préfet de police de Paris ». Il confirme donc l'arrêté de conflit pris le 28 août 1996 par le préfet de police de Paris et déclare nulle et non avenue la procédure engagée devant le juge des référés du TGI de Paris et l'ordonnance rendue le 9 août 1996.
[...] Dès lors, le préfet a décidé de prendre, le 28 août 1996, un arrêté de conflit qui contraint le TGI de Paris à surseoir à statuer, et une ordonnance de sursis a été prise en conséquence. Cette affaire pose clairement deux problèmes de droit qui permettent de déterminer l'autorité compétente au-delà des critères généraux de répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire. En effet, il s'agit de discuter de la compétence du juge judiciaire à travers la question de l'effectivité de deux situations justifiant une extension traditionnelle de la compétence judiciaire, c'est- à-dire que dans certains cas, les tribunaux judiciaires sont compétents alors que l'application normale des critères aurait laissé la connaissance de ces litiges aux tribunaux administratifs. [...]
[...] Il s'agit d'un principe posé à la Révolution française et s‘exprimant à travers deux textes fondamentaux cités dans la motivation de l'arrêt : la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. En effet, l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 dispose que : les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions Mais dans la pratique, ces dispositions ne seront pas respectées. [...]
[...] A titre d'exemples, le tribunal des conflits a considéré que les cas suivants ne constituaient pas une voie de fait : une mesure de rétrogradation d'un club de football par la Fédération française de football Préf. Rég. Aquitaine janvier 1992), la mutation d'un inspecteur dans l'intérêt du service Dulangi avril 1994), une rétention administrative prolongée Madaci et Youbi juin 1995), un avis d'exécution d'office pouvant intervenir à tout moment pour libérer le domaine public maritime, mais sans qu'il y ait menace précise d'exécution Préfet du Calvados juillet 1999), ou encore le refus de la police de laisser une ressortissante algérienne embarquer pour son pays d'origine en laissant ses enfants en France ne situation irrégulière Préfet de la région Alpes- Côtes d'Azur avril 2000) C'est donc au milieu de cette jurisprudence que s'insère l'arrêt étudié. [...]
[...] Sur ce dernier point, on considère traditionnellement que les tribunaux judiciaires sont les gardiens des libertés individuelles, comme en témoigne la jurisprudence du Tribunal des conflits qui confie au juge judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle (TC décembre 1947, Hilaire). Ce principe possède, en outre, une valeur constitutionnelle dans la mesure où l'article 66 de la norme suprême française dispose que : nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi Ceci est avalisé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui estime que l'article 66 confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects et notamment celui de l'inviolabilité du domicile C'est dans cette lignée qu'il faut comprendre les dispositions de l'article 136 du code de procédure pénale, rappelées au début du deuxième considérant : dans tous les cas d'atteinte à la liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé par l'autorité administrative et les tribunaux de l'ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents L'application de ce texte est très délicate dans la mesure où sa portée a été réduite par l'interprétation qu'en a donnée la jurisprudence (CE juillet 1965, Voskresensky). [...]
[...] Ce système était insatisfaisant dans un Etat de droit dans la mesure où l'administration se jugeait elle-même. Le basculement dans le système de la justice retenue se traduisit par une autonomisation de la justice administrative qui coïncida avec la création du Conseil d'Etat (22 frimaire an III (1799)) et des Conseils de préfectures, ancêtres des tribunaux administratifs (loi du 28 pluviôse an VIII). Mais les ministres restent juges de droit commun en premier et dernier ressort pour les litiges administratifs et malgré la possibilité de faire appel de leurs décisions en saisissant le Conseil d'Etat, ce dernier ne dispose que de la justice retenue c'est-à-dire que ses décisions soumises à l'approbation du Chef de l'Etat. [...]
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