En l'espèce, le conflit positif dont est saisi le Tribunal des conflits est bien la preuve que cette théorie brouille quelque peu la répartition des compétences du juge administratif et du juge judiciaire au détriment parfois de l'intérêt des justiciables. Toutefois, la promulgation de la loi du 30 juin 2000 portant notamment sur le référé liberté, traduit la volonté du législateur de mettre un terme à une telle situation en donnant au juge administratif une plus large panoplie d'outils juridiques, garantissant par là son efficacité certaine en matière d'urgence.
En l'occurrence, un ressortissant marocain, M. Boussadar, avait sollicité auprès de l'autorité consulaire un visa de court séjour afin de pouvoir comparaître en personne devant la Cour d'appel de Paris, à une audience dont l'objet le concernait. En effet, il avait été condamné le 18 juin 1991 par le Tribunal de grande instance de Créteil à une peine d'emprisonnement de 3 mois ainsi qu'à une peine complémentaire d'interdiction du territoire d'une durée de 3 ans.
La question du maintien de la théorie de la voie de fait se posait donc au tribunal des Conflits : la décision litigieuse de refus de délivrance d'un visa de court terme peut-elle encore être constitutive d'une voie de fait ?
[...] Les conditions constitutives de la voie de fait On sait qu'en principe, la décision administrative est présumée légale jusqu'au jour du jugement. En effet, le premier but de l'action administrative est bien de satisfaire l'intérêt général, alors que l'administré qui exerce un recours pour excès de pouvoir cherche à satisfaire un intérêt particulier. C'est pourquoi la voie de fait qui entraine la compétence du juge judiciaire et sa capacité à agir dans l'urgence, notamment grâce à son pouvoir d'injonction, doit être envisagée à titre d'exception et que dans la mesure où certaines conditions sont remplies. [...]
[...] Par conséquent, si le maintien de la théorie de la voie de fait ici affirmé doit être relativisé, il n'en reste pas moins que cette théorie n'est pas pour autant abandonnée. La voie de fait et le référé liberté : des champs d'application distincts Le champ d'application de la voie de fait était, avant l'entrée en vigueur de la loi de 2000, strictement encadré par la jurisprudence du TC, comme nous le montre cet arrêt la décision en cause ne saurait constituer une voie de fait ; mais c'est d'autant plus le cas aujourd'hui du fait de l'existence du référé liberté. [...]
[...] D'où l'intervention du législateur le 30 juin 2000 qui vient notamment mettre un terme aux abus des usagers quant aux multiplications de demandes fondées sur la voie de fait. En effet, le professeur Gilles Bachelier, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, souligne dans son article sur le référé liberté que la pratique de la voie de fait brouille quelque peu la répartition des compétences du juge administratif et du juge judiciaire au détriment finalement d'une bonne administration de la justice et de l'intérêt même des justiciables Il ajoute en citant l'expression du Professeur Chapus qu'il était tentant de chasser cette folle du logis C'est dans cette logique que s'inscrit la position du TC, dans un souci de conserver le noyau dur de compétence du juge administratif. [...]
[...] D'où le refus opposé pourrait être contraire à l'article 6 de la Convention susvisée et notamment à ses alinéas premier et troisième qui disposent respectivement que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable et que tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix En outre, si le TC ne tranche pas véritablement le litige au fond, en déterminant la juridiction compétente, il s'interroge sur la légalité du refus de visa et souligne donc qu'il n'est pas exclu que ce refus de l'administration puisse être entaché d'illégalité Quoi qu'il en soit, le TC poursuit en jugeant que quant bien même ce refus serait illégal, il n'en reste pas moins que cette illégalité peut être à elle seule constitutive d'une voie de fait. En effet, il faudrait pour cela que la décision ait été prise en dehors des pouvoirs de l'administration. Or, la voie de fait soulevée étant celle de la voie de fait par manque de droit et non par manque de procédure, on en déduit qu'elle ne trouve pas ici à s'appliquer. D'où la compétence du juge administratif. [...]
[...] La justification sous-jacente à la théorie édifiée par le TC tient en premier lieu à ce que dans certains cas, on considère que l'action de l'administration est si ouvertement hors du droit qu'elle en est dénaturée. Alors, dans ces situations, l'action litigieuse n'a plus de caractère administratif, de sorte que ce n'est plus le service administratif chargé de servir l'intérêt général qui est visé mais plutôt une personne privée et non publique. C'est pourquoi on affirme que l'administration est déchue de son privilège de juridiction, ce qui entraine la perte de compétence du juge administratif. Ainsi, la caractérisation de la voie de fait a pour conséquence la compétence exclusive du juge judiciaire. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture