Le Tribunal des conflits, autorité créée par la loi du 24 mai 1878 aux fins de trancher les litiges de compétence entre les ordres juridictionnels judiciaires et administratifs a, à l'occasion d'un arrêt rendu le 12 mai 1997, développé une interprétation étroite de la notion de voie de fait, solution mémorable (mais non inédite) puisqu'elle a exigé la présidence du garde des Sceaux pour vider un partage, et provoqué la démission d'un magistrat de l'ordre judiciaire, membre du Tribunal, en signe de protestation devant la solution retenue.
En l'espèce, à l'occasion de l'escale d'un navire dans un port français, l'autorité administrative française a pris contre deux de ses passagers de nationalité marocaine (MM. Ben Salem et Taznaret), une décision de refus d'entrée sur le territoire national, et les a maintenus à bord de ce bateau. Ces derniers, ainsi que l'entreprise de transport maritime exploitant le navire, ont contesté devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris cette « consignation » à bord et ont demandé qu'il soit fait injonction à l'autorité administrative de les laisser débarquer dans la zone d'attente instituée par l'art. 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
[...] Il convient d'étudier les fondements de cette solution, en voyant, d'une part, pourquoi le tribunal des conflits restreint aux seuls cas de voie de fait la compétence du juge civil des référés en matière de contentieux des libertés entre particuliers et administration et d'autre part, en analysant l'interprétation étroite qu'il fait de la notion de voie de fait, laquelle lui a permis, en l'espèce, d'écarter cette qualification (II). I. L'affirmation de l'incompétence des juridictions judiciaires pour connaître de la légalité des actes pris par l'administration, en dehors des cas de voie de fait Dans le présent arrêt, le Tribunal des conflits est venu restreindre la portée de l'article 136 du code de procédure pénale et ce, aux fins de sauvegarder les principes de compétence traditionnels qui régissent le droit administratif A. [...]
[...] Ben Salem et Taznaret n'étaient pas manifestement insusceptibles d'être rattachées à un pouvoir appartenant à l'administration et que ces actes ne sauraient, dès lors, être regardés comme constitutifs de voie de fait Il faut en conclure que le Tribunal des conflits, en refusant de qualifier de voie de fait une mesure administrative entachée d'irrégularité manifeste (c'est-à-dire gravement illégale) et en ne retenant que le seul critère de rattachement de la mesure prise à un pouvoir appartenant à l'administration subordonne l'acceptation de la voie de fait par manque de procédure à la reconnaissance préalable de la voie de fait par manque de droit. Il s'agit donc d'une forte restriction dans l'interprétation de la notion de voie de fait. Les faits du présent arrêt reproduisent une situation qui s'était répétée à plusieurs reprises durant les années 1990. La solution était attendue, et n'aurait pas dû surprendre puisqu'elle confirme, en grande partie, une jurisprudence classique, même si elle était de longue date contestée. [...]
[...] Le législateur y avait d'ailleurs lui-même contribué, en tentant d'unifier le contentieux de la reconduite à la frontière, tentative avortée en raison de la censure du Conseil constitutionnel et du rappel par ce dernier des principes essentiels de la conception française de la séparation des pouvoirs. Dans le présent arrêt, le TC, se ralliant à l'attitude traditionnelle du Conseil d'Etat, faite de réserves à l'égard de l'invocation directe des textes constitutionnels dès lors qu'il peut s'appuyer sur d'autres fondements, ne s'est pas attardé sur l'art C., préférant reprendre le considérant de principe d'une jurisprudence antérieure, infiniment moins favorable à la compétence judiciaire (TC novembre 1964, Clément). La jurisprudence Clément avait fait l'objet de vives critiques. [...]
[...] Une solution en faveur de la sauvegarde de la conception traditionnelle française de la justice administrative, aux dépens de la situation du justiciable Ce conflit de compétence que le Tribunal des conflits dans le présent arrêt, avait à connaître, illustre la tendance générale de l'autorité judiciaire (exercée notamment par les juges des référés) à abuser de la voie de fait en diagnostiquant son existence à tort et à travers. Pour mieux saisir la portée de cet arrêt, il semble nécessaire de le replacer dans son contexte. [...]
[...] Encore faut-il s'entendre sur l'appréciation des éléments caractéristiques de la voie de fait. II. Un apparent déni de la voie de fait Si, en l'espèce, le Tribunal des conflits donne une interprétation restrictive de la voie de fait il serait néanmoins dangereux de conclure hâtivement au délitement de cette notion A. Une interprétation restrictive de la notion de voie de fait A la lumière de ce qui a été dit précédemment, on peut déduire sans peine que la seule atteinte à une liberté individuelle, aussi grave soit- elle (en l'espèce, l'atteinte résultant du refus d'entrée sur le territoire national des deux passagers de nationalité marocaine et leur consignation à bord) n'est pas un élément suffisant pour caractériser la voie de fait. [...]
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