l'organisation juridictionnelle française. L‘arrêt du Tribunal des Conflits en date du 12 décembre 2005 en est un brillant exemple. Dans cette affaire, comme toutes des plus banales, le principe du dualisme juridictionnel issu des lois des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III visé dans le présent arrêt tente des faire face à ses limites, ainsi qu'à ses difficultés d'application. Notons que ce dualisme et plus généralement le droit se heurte, par ailleurs, à la détermination de la nature de l'activité qui est inhérent à tout litige: qui est soit un service public administratif (SPA), soit un service public industriel et commercial (SPIC).
En l'espèce, à la suite de l'effondrement d'un pont mobile situé à Nancy, sur le canal de la Marne au Rhin, la circulation fluviale a été interrompue pendant la réparation de ce pont. L'EURL Croisières Lorraines « La Bergamote » qui exploite la péniche-restaurant effectuant des croisières fluviales, au départ de Nancy, a recherché la responsabilité de Voies Navigables de France, chargée de l'entretien de ce pont mobile, en application de la loi de finances de 1991, pour obtenir réparation des préjudices commerciaux, qui résulteraient de l'interruption du trafic fluvial.
L'EURL Croisières Lorraines « La Bergamote » a premièrement saisi le tribunal administratif de Nancy, lequel s'est déclaré incompétent dans un jugement du 23 décembre 2002. A la suite de quoi, l'EURL a saisi le Tribunal de Grande Instance de Nancy, qui dans une expédition de jugement en date du 2 décembre 2004, enregistrée au secrétariat du Tribunal des Conflits le 19 janvier 2005,s'estimant également incompétent laisse le soin à ce dernier de décider de la question de la compétence de juridiction.
Le Tribunal des Conflits, en ce 12 décembre 2005, statue en considérant que « la juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant l'EURL Croisières Lorraines « La Bergamote » et Voies Navigables de France », car d'une part, « l'interruption du trafic fluvial était la conséquence directe de l'effondrement du pont », et donc « que l'activité au titre de laquelle la responsabilité de Voies Navigables de France est recherchée n'est pas l'exercice de pouvoirs de police » ; et que, d'autre part, « l'exploitation et l'entretien des voies navigables […], confié à Voies Navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1990, ne ressortit pas […] de prérogatives de puissance publique ; que l'EURL Croisières Lorraines « La Bergamote » étant un usager du service de la navigation, il appartient aux tribunaux de l'ordre judiciaire de connaître du litige qui l'oppose à Voies Navigables de France, même si le dommage est imputable à un vice dans la conception, la construction, l'entretien ou le fonctionnement du pont mobile, ouvrage public concourant à l'activité de l'établissement public industriel et commercial [EPIC] ».
[...] Cet EPIC gère une activité similaire à celles des entreprises privées, confiée certes par l'Etat (article 124 de la loi de finances de 1990), mais gérée par l'EPIC, usant de règles de droit privé. Cette notion de service public, fonctionnant dans les mêmes conditions qu'une entreprise privée et relevant de la compétence du juge judiciaire a été dégagée par l'arrêt du Conseil d'Etat : CE, sect janvier 1921, société commerciale de l'Ouest Africain. Il convient, en dernier lieu, de s'attarder sur le dernier moyen invoqué par Voies Navigables de France, non des moindres, relatif à la notion de dommage d'ouvrage public. [...]
[...] Cette présomption peut être renversée si trois conditions sont réunies. L'objet du service, s'il est comparable à celui d'une entreprise privée, fait que l'on est en présence d'un SPIC (activité tournée vers l'achat, la vente, la production de biens ou de service, autrement une activité à but lucratif). Or, en l'espèce, l'EPIC a bien une mission d'exploitation d'entretien des voies navigables, soit une activité comparable à celle d'une entreprise privée. Est SPIC, le service financé par des redevances ou subventions. [...]
[...] L'insuffisance de la qualification légale d'établissement industriel et commercial surmontée pour admettre la compétence judiciaire Pour rejeter la compétence du juge administratif, le Tribunal des Conflits, étant donné que la qualification d'EPIC par détermination de la loi s'avérant être insuffisante applique tout simplement la jurisprudence classique L'insuffisance de la qualification textuelle d'EPIC pour identifier la compétence du juge judiciaire Depuis la loi du 31 décembre 1991 : l'établissement public qui se substitue à l'office national de la navigation constitue un EPIC Ainsi, un texte législatif (qui s'impose au juge administratif contrairement aux règlements) qualifie la nature juridique de Voies Navigables de France d'EPIC. [...]
[...] Le Tribunal des Conflits, en ce 12 décembre 2005, statue en considérant que la juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant l'EURL Croisières Lorraines La Bergamote et Voies Navigables de France car d'une part, l'interruption du trafic fluvial était la conséquence directe de l'effondrement du pont et donc que l'activité au titre de laquelle la responsabilité de Voies Navigables de France est recherchée n'est pas l'exercice de pouvoirs de police ; et que, d'autre part, l'exploitation et l'entretien des voies navigables [ confiés à Voies Navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1990, ne ressortirent pas [ ] de prérogatives de puissance publique ; que l'EURL Croisières Lorraines La Bergamote étant un usager du service de la navigation, il appartient aux tribunaux de l'ordre judiciaire de connaître du litige qui l'oppose à Voies Navigables de France, même si le dommage est imputable à un vice dans la conception, la construction, l'entretien ou le fonctionnement du pont mobile, ouvrage public concourant à l'activité de l'établissement public industriel et commercial [EPIC] D'où il convient de poser le problème juridique suivant : Malgré l'existence de critères de droit public, quels sont les moyens retenus par le Tribunal des Conflits pour reconnaître le juge judiciaire compétent pour statuer d'un litige opposant un EPIC à l'un de ses usagers ? Deux problèmes majeurs ont ainsi été abordés : Le Tribunal des Conflits va d'emblée exclure la compétence du juge administratif pour admettre classiquement celle du juge judiciaire et cela en raison du refus d'appliquer des critères de droit public (II). [...]
[...] A cet égard, le Tribunal des Conflits indique que lorsqu'un établissement public tient de la loi la qualité d'établissement industriel et commercial, les litiges nés de ses activités de la compétence de la juridiction judiciaire Cette affirmation est parfaitement valable, en présence même de clauses exorbitantes du droit commun 13/10/1961, Etablissement Companon Rey). Ainsi, pour des raisons entre autres de simplification et d'unification du droit et de résolution des litiges, le Tribunal des Conflits fait prévaloir le lien contractuel de droit privé (cf. II) sur les éléments invoqués par Voies Navigables de France pouvant justifier la compétence du juge administratif. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture