Selon les principes juridiques de la responsabilité, il est généralement nécessaire de réunir un lien de causalité entre un dommage existant, et un fait qui en est à l'origine. Il s'agit par là de justifier la réparation du dommage à celui qui l'a subi en en identifiant celui ou ceux qui ont contribué à sa réalisation. Le fait doit ainsi en principe revêtir un caractère fautif. Cependant, et ce depuis une position jurisprudentielle assez ancienne (CE 21 juin 1895, Cames), il a été conçu et admis la responsabilité de l'administration puisse être engagée même en l'absence de faute de cette dernière. Ainsi lorsque les activités qu'elle mène sont en elles-mêmes dangereuses, et donc porteuses de risque, ou lorsqu'elles désavantagent certains au profit de l'intérêt général, il a été admis, que même en l'absence de faute, cette responsabilité publique puisse être reconnue.
Il a, dans ce cadre, été conçu que lorsque l'existence d'un ouvrage public, ou de travaux publics ont des effets inévitables, et qui entraînent la survenance d'un préjudice, n'ayant rien d'accidentel, à l'endroit d'un tiers, il est admis que la responsabilité de l'administration puisse être engagée. Cependant il est des situations où ce caractère exceptionnel de responsabilité contribue à la rencontre d'hypothèses quelque peu confuses, et où les régimes de responsabilité s'entremêlent et laissent le justiciable, ainsi même que la juridiction devant des cas d'une ambiguïté telle qu'elle appelle un nécessaire éclairage de fonds de la part de la Haute Cour.
En l'espèce, un agriculteur possesseur d'une parcelle d'exploitation située à proximité de la voie ferrée, dans les remblais de laquelle la population de lapins de garenne est particulièrement importante, causant des dommages à ses cultures.
Pour obtenir une compensation du préjudice qu'il avait subi du fait de l'existence de cette colonie de lapins abrités par un ouvrage public, il s'est alors adressé à la juridiction administrative en recherchant à impliquer la responsabilité de la Société nationale des chemins de fer (SNCF). Le Tribunal administratif saisi du recours a alors estimé que, devant une telle situation de fait, la question de savoir si c'était la responsabilité du propriétaire de l'ouvrage public (le Réseau ferré de France (RFF)), ou celle du gestionnaire des installations ferroviaires (SNCF), était nouvelle, et posait une difficulté sérieuse et susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Il a alors sursis à statuer, et a transmis l'affaire au Conseil d'Etat, en en sollicitant l'avis.
Le Conseil d'Etat se retrouvait donc devant une situation de droit assez complexe, qui avait d'ailleurs vu des juridictions administratives adopter des positions contraires, puisqu'il s'agit d'étudier le rapport entre le fait que l'ouvrage public contribue à créer un dommage pour un tiers à celui-ci, et la relation juridique unissant le Réseau ferré de France, et la Société nationale des chemins de fer. Selon ce dont est chargé chacun à l'égard de l'ouvrage public quelle responsabilité et dans quelles conditions peut être engagée pour donner lieu à indemnisation du dommage réalisé ?
La Haute juridiction décide finalement de rendre un avis affirmant la possibilité de rechercher la responsabilité de l'un et de l'autre des deux personnes morales qui sont en rapport juridique avec l'ouvrage public en examinant l'imputabilité des dommages, en se fondant d'un côté (pour le propriétaire) sur l'imputabilité au maître d'un ouvrage public des dommages permanents résultant de son implantation, de son fonctionnement ou de son entretien, et de l'autre côté (pour le gestionnaire délégué) sur l'imputabilité à ce gestionnaire des dommages liés aux modalités d'entretien de l'ouvrage.
Il s'agit donc d'étudier les effets de la délégation de gestion d'un ouvrage public sur la responsabilité des dommages nés du fait de l'existence, du fonctionnement, ou des modalités d'entretien de celui-ci. Le fait que la gestion en soit délégué ne permet pas ici de remettre en cause le régime de responsabilité de principe en présence d'un ouvrage public (I), mais il permet cependant d'envisager, peut être dans une logique indemnitaire, que la responsabilité du gestionnaire puisse contribuer à la compensation du dommage, lorsque ce dernier est directement imputable à l'activité dont il est l'auteur (II).
[...] Si une personne privée avait été chargée contractuellement par le Réseau ferré de France de l'entretien de la voirie, ce dernier aurait pu peut-être se retourner contre son partenaire contractuel pour manquement à une obligation contractuelle. Ainsi, l'ouverture au recours contre l'un ou l'autre des deux établissements permet la garantie d'une indemnisation pour la victime des dommages, mais la logique indemnitaire n'est pas entièrement satisfaisante à l'égard de l'imputation de la responsabilité des deux personnes morales en ce qu'elles n'ont peut être pas également concouru à la réalisation du dommage. [...]
[...] Il s'agit ici de la deuxième hypothèse puisqu'un particulier se retrouve ici lésé assez directement par ce qu'a provoqué la seule existence de l'ouvrage public, qui présente des conditions idéales à la prolifération des lapins de garenne. Ainsi ici, l'existence de l'ouvrage public ne revêt rien de fautif, rien d'illégal, mais il n'empêche qu'elle est à l'origine d'un dommage causé à un tiers qui ne serait pas survenu en son absence : la jurisprudence a accepté depuis longtemps que dans une telle situation, l'administration soit tenue d'indemniser le tiers qui pâtit de l'existence de cet ouvrage à l'origine d'un préjudice le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers, tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement CE, Ass mai 1971, Département du Var Entreprise Bec Frères). [...]
[...] Le maintien de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage public à l'égard des tiers La décision du Conseil d'Etat réaffirme ici les principes qui guident sa jurisprudence depuis plus d'un demi-siècle en impliquant la possibilité d'engager, même sans faute de sa part, la responsabilité du propriétaire de l'ouvrage public A. L'identification des entités en présence contribuant à ce maintien La situation de fait a ici appelé les juges à analyser les différentes parties en présence pour en déduire le régime juridique applicable. [...]
[...] Cependant, il n'est pas exclu qu'un entretien méticuleux de ces voies ferrées aurait probablement permis d'éviter d'aboutir à une telle situation. Pourtant, ce second élément est considéré par les juges comme pouvant permettre la mise en cause du gestionnaire de l'entretien de l'ouvrage public, et absolument pas comme pouvant ouvrir à l'exonération de la responsabilité du propriétaire. Apparaît ici la particularité du régime de responsabilité publique : en effet, la situation juridique mettant en cause deux établissements publics industriels et commerciaux (RFF, et SNCF) ce seront toujours des fonds publics qui seront solvables. [...]
[...] Cependant, la jurisprudence a déjà été encline à admettre que la victime d'un dommage dont l'une des causes est l'implantation d'un ouvrage public puisse agir contre une autre personne que celle qui en est maîtresse. Ainsi, lorsqu'une commune située à proximité d'un aéroport, voit son territoire troublé par les nuisances liées au trafic aérien, il lui est possible d'agir pour demander une indemnisation des nuisances aux compagnies qui sont les usagères de l'aéroport, et non les maîtresses, et même au gestionnaire de l'aéroport (CE février 1987, Compagnie nationale Air France). [...]
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