La responsabilité de la puissance publique, responsabilité civile extracontractuelle, fait partie des éléments majeurs de démarcation du droit administratif vis-à-vis du droit civil. En effet, la responsabilité sans faute existant en droit administratif se distingue, notamment, des dispositions de l'article 1382 du Code civil, en vertu desquelles « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Ainsi l'Administration peut-elle être amenée à indemniser un préjudice dont elle n'est pourtant pas directement responsable… L'arrêt Ministre de la Défense contre époux Raszewski rendu par le Conseil d'Etat le 18 novembre 1988 illustre cette hypothèse. En l'espèce, un gendarme avait abattu avec son arme de service une mineure. Le Conseil d'Etat précise que cet assassinat fut perpétré après la commission, des mois durant, de nombreux « méfaits » dans la circonscription où il avait été affecté, échappant aux recherches du fait de sa participation aux enquêtes diligentées.
Alors que les cours administratives d'appel avaient été créées par une loi du 31 décembre 1987, le Conseil statue suite à l'appel interjeté par le ministre de la Défense – la gendarmerie dépend de ce ministère – contre le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 12 novembre 1985 ayant condamné l'Etat à indemniser les parents et la sœur de la victime en réparation du préjudice subi. Le Conseil d'Etat accueille ainsi une requête mettant en jeu la responsabilité administrative alors même que la faute commise par l'agent apparaît purement personnelle…
Dans quelle mesure une faute personnelle commise par un agent administratif peut-elle malgré tout engager la responsabilité de l'Administration ? Le Conseil retient dans sa solution, pour confirmer l'engagement de la responsabilité de l'Etat, que si l'assassinat a été commis par l'agent « en dehors de ses heures de service et avec son arme personnelle », il n'en est pas pour autant « dépourvu de tout lien avec le service », du fait de la carence des services d'enquête de la gendarmerie.
Cette solution repose sur une double constatation : celle de l'existence d'une faute de l'agent et celle d'une déficience administrative propice à sa commission. Malgré l'absence de faute des services administratifs eux-mêmes (I), la faute commise étant strictement personnelle, le Conseil d'Etat accepte d'engager la responsabilité de l'Etat, en vertu de la notion jurisprudentielle de « faute non dépourvue de lien avec le service » (II), dans la mesure où cette faute n'a pu être perpétrée qu'en raison d'un dysfonctionnement de l'administration militaire.
[...] C'est pourquoi la responsabilité de l'Etat est engagée malgré l'absence de faute de la puissance publique. II. Une faute personnelle non dépourvue de lien avec le service Le Conseil d'Etat fonde ainsi l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le concept de faute non dépourvue de lien avec le service ; le lien avec le service est évident en l'espèce, l'agent profitant de son appartenance à la gendarmerie pour égarer les enquêtes La spécificité de cet arrêt illustrant un tel type de faute vient d'un possible usage par la Haute Juridiction de la théorie de l'équivalence des conditions pour statuer au fond A. [...]
[...] Au-delà de l'intérêt qu'ont ces événements antérieurs et extérieurs à la présente faute pour la compréhension de la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat, leur évocation par le Conseil témoigne du recours à une méthode de raisonnement peu utilisée d'ordinaire en matière de contentieux de la responsabilité. C'est en cela que la Haute Juridiction fait montre de pragmatisme dans l'appréciation des espèces in concreto. Il s'agit de la théorie de l'équivalence des conditions, à laquelle est habituellement préférée la théorie de la causalité adéquate. [...]
[...] L'arme utilisée pour l'assassinat n'est même pas une arme de service On ne se trouve donc même pas dans une situation similaire à celle de l'arrêt CE Ass. Sadoudi du 26 octobre 1973, dans lequel le Conseil avait pris soin de relever deux circonstances particulières : l'obligation de conserver l'arme de service au domicile et le caractère dangereux de l'arme. Si la faute et celles qui l'ont précédé ont été commises hors service, l'activité du service auquel appartenait l'agent n'en a pas moins été utilisée à des fins criminelles par celui-ci. [...]
[...] Les principes fondant l'engagement de la responsabilité administrative pour faute non dépourvue de lien avec le service. On retrouve ce même pragmatisme de la Haute Juridiction, de manière générale, dans la genèse de sa jurisprudence relative à ces fautes non dénuées de lien avec le service. Cette notion de la faute non dépourvue de lien avec le service améliore le principe de cumul de responsabilités, dans la mesure où elle prend en considération les difficultés éventuellement rencontrées par les victimes ou leurs ayants droit ; l'obtention d'une indemnisation conséquente même si elle semble limitée en l'espèce, du fait du statut de mineure de la victime (elle n'avait donc personne à charge ; il n'y a pas de préjudice financier, le préjudice n'est que moral) ne peut être permise que par l'engagement de la responsabilité de l'Etat. [...]
[...] En l'espèce, le gendarme meurtrier s'était servi, pour éviter d'être découvert et arrêté, de sa situation au sein du service d'enquête pour couvrir sa culpabilité. L'agent n'utilisait ainsi son activité administrative que dans un but purement personnel en l'occurrence, criminel. S'il n'y a pas de lien matériel ici, comme c'est souvent le cas (notamment pour les armes), il existe malgré tout un lien de causalité indirect entre la commission des infractions et l'accès à des informations privilégiées du fait de l'appartenance au service. [...]
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