Pendant longtemps a prévalu l'adage selon lequel l'ouvrage public, qui, selon Cornu, est « un immeuble affecté soit à l'usage direct du public, soit à un service public et soumis, en tant que tel, à un régime spécial quant à la compétence juridictionnelle et la réparation des dommages causés aux biens », mal planté ne se démolit pas, même s'il est construit à la suite d'une emprise irrégulière ou d'une voie de fait. La règle remontait à la première moitié du XIXe siècle.
Le juge judiciaire affirmait clairement sous l'autorité du Tribunal des conflits qu'« il n'appartient en aucun cas à l'autorité judiciaire de prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte sous quelque forme que ce soit, à l'intégrité ou au fonctionnement d'un ouvrage public. »
La portée de cette règle a des conséquences drastiques auxquelles la jurisprudence n'avait apporté jusqu'à ces dernières années aucune inflexion.
D'une part, des conclusions dirigées contre une personne publique et qui tendraient à ce qu'il soit porté atteinte à l'ouvrage mal planté en sollicitant sa destruction ne peuvent être accueillies par le juge. La règle qui avait prospéré de façon coutumière selon laquelle il est interdit au juge d'adresser des injonctions à l'administration renforçait l'intangibilité.
D'autre part, alors que le plus souvent l'implantation irrégulière et forcée de l'ouvrage public se fait sur la propriété privée et constitue une véritable voie de fait, le juge judiciaire, arbitre naturel de ces situations, est privé de son pouvoir de faire cesser la voie de fait en prescrivant en urgence les mesures de remise en état. Enfin, l'application stricte de la règle permet de priver le particulier de sa propriété ainsi « envahie », sans avoir besoin de recourir à la procédure d'expropriation.
[...] La Cour de Cassation a suivi la voie ouverte par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 6 janvier 1994 Consort Baudon de Mony (AJDA 1994), qui sonnât le glas de l'expropriation indirecte. Avant d'exposer les faits, il convient de rappeler que le principe de l'intangibilité de l'ouvrage public avait pour effet brutal d'obliger la personne privée, dont le bien était irrégulièrement occupé par un ouvrage mal planté à accepter une indemnisation, laquelle transférait le bien mal acquis dans le patrimoine de l'administration. [...]
[...] Selon certains, le principe d'intangibilité servirait à la fois l'intérêt général et l'intérêt financier. Démolir un ouvrage dont la finalité d'intérêt général est incontestable entrainerait des frais pour l'administration qui pourrait être conduite à reconstruire l'ouvrage présumé nécessaire à l'intérêt général. Mais il faut croire que ces arguments ont perdu de leur force, car ce principe constant de la jurisprudence (CE juillet 1853 Robin de la Grimaudière, TC février 1956 Consorts Sauvy) s'est trouvé remis en question par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 19 avril 1991 Epoux Denard et Martin En l'espèce, les riverains d'un chemin forment un recours en annulation contre le refus du maire de supprimer une buse, ouvrage public édifié par la commune, destiné à faciliter l'écoulement des eaux de pluie et empiétant sur leur propriété. [...]
[...] En effet, il semble que ce texte permet au juge administratif, en le combinant avec la jurisprudence citée de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, de prescrire à l'administration la destruction de l'ouvrage public mal planté. A nouveau transparait dans l'adoption de cette loi un trait majeur de l'évolution du principe d'intangibilité qui se manifestait déjà au sein du mouvement jurisprudentiel, à savoir une volonté de ménager le contenu du principe qui incarne autant d'enjeux pour l'administration que pour l'intérêt général. [...]
[...] P. GODFRIN, M. DEGOFFE, Droit administratif des biens, Domaine, travaux, expropriation, Syrey, 8ème édition 2007. [...]
[...] En l'espèce aucune réponse certaine ne peut être donnée car le Conseil d'Etat a conclu à la légalité de la décision du maire et donc au rejet de la requête des Epoux Denard et Martin. Mais si le Conseil d'Etat avait annulé la décision refusant d'engager la procédure adéquate, le maire aurait uniquement été obligé d'engager ladite procédure sans que l'existence de l'ouvrage public soit remise en cause. Même si la décision de refus de démolition avait été visée, le maire aurait tout à fait pu prendre exactement la même décision en se fondant cette fois-ci sur des motifs légaux. [...]
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