L'arrêt qu'il s'agit de commenter a été rendu le 13 décembre 1962 par la formation la plus solennelle de la Cour de Cassation, l'assemblée plénière.
En l'espèce, les faits étaient les suivants : le président directeur général de la banque Canadienne Société Anonyme avait souscrit sous sa seule signature un cautionnement au nom de la banque. L'acte paraissait pour le bénéficiaire entrer dans les pouvoirs du directeur. Le bénéficiaire du cautionnement, l'Administration des Domaines demande l'exécution de cette obligation et la SA soutient qu'elle ne lui est pas opposable car les statuts exigeaient pour la signature de cet acte la signature de deux mandataires sociaux habilités, et donc que le dirigeant a dépassé ses pouvoirs.
La Cour d'appel retient pour condamner la banque qu'en l'espèce « l'Administration a pu légitimement penser qu'elle traitait avec un mandataire agissant dans la limite de ses pouvoirs normaux et retient que la banque était en conséquence tenue d'un mandat apparent ».
La banque canadienne forme un pourvoi.
Elle invoque que le mandat apparent suppose une faute qui soit imputable au prétendu mandant ayant entraîné l'erreur du tiers contractant, et qu'en l'espèce aucune faute n'est rapportée par la Cour d'appel, elle ajoute de plus que l'administration a été imprudente car il lui incombait de vérifier l'étendue des pouvoirs du mandataire.
La question posée aux juges de la Cour de Cassation était : lorsqu'un mandataire n'a pas agi dans la limite de ses pouvoirs normaux, la responsabilité du mandant peut-elle être engagée sur le fondement de la théorie du mandat apparent sans que ce dernier n'ait commis aucune faute ?
Les juges de la Cour Suprême nous répondent par l'affirmative et approuvent la Cour d'appel, « le mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence de faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs… ». Elle admet ainsi qu'une personne peut se trouver engagée par un mandataire apparent, c'est-à-dire qui n'avait nullement reçu d'elle un pouvoir de représentation mais dont le comportement a pu légitimement induire le tiers en erreur sur ce point.
Avec cette décision rendue en assemblée plénière, la Haute juridiction a posé un arrêt de principe, elle a en effet rompu avec sa jurisprudence antérieure en proclament l'autonomie du mandat apparent par rapport à la faute du mandant (I) et a jeté fermement les bases de l'application de la théorie de l'apparence au mandat (II).
[...] Elle a paru adopter une conception restrictive par rapport à cette espèce où elle parle de croyance légitime, car si on parle d'erreur commune elle devient une condition de la croyance légitime La 1re chambre civile de la Cour de Cassation dans un autre arrêt du 29 avril 1965 a abandonné ce critère de l'erreur commune et a déclaré que si une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent c'est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs elle reprend ainsi presque mot pour mot l'attendu de principe posé ici. Il n'est donc pas nécessaire que cette croyance légitime cette erreur légitime (puisqu'il s'agit d'une croyance en une situation erronée) soit invincible. Certes il existe encore un auteur qui soutient que la croyance légitime est autonome par rapport à la croyance erronée (J.-L. [...]
[...] Cependant, la jurisprudence a posé des limites à cet article, depuis le 13 février 1883 (Chambre des requêtes) elle admet que lorsque le mandant a agi avec imprudence et a permis le dépassement de ses pouvoirs par le mandataire, le mandant est alors tenu à l'égard des tiers même pour les engagements qui dépassent les limites du mandat. Avant cet arrêt du 13 décembre 1962 la jurisprudence utilisait la responsabilité pour faute du mandant afin de le rendre débiteur des tiers ayant contracté de bonne foi avec le (prétendu) mandataire dont ils croyaient qu'il agissait dans la limite de ses pouvoirs. [...]
[...] Les juges de la Cour de Cassation pardonnent donc en quelque sorte au profane cette absence de vérification poussée en raison de la nécessité de la rapidité de conclusion des conventions mais pas seulement , également car le mandat repose sur des usages, la confiance . Seulement l'erreur légitime suppose la réunion de l'apparence d'un mandat et de la bonne foi du tiers pour exister, la notion de croyance légitime confère donc au juge du fond un très large pouvoir d'appréciation qui débouche sur une appréciation très casuistique, pointilliste des faits. On peut cependant distinguer certains éléments influençant la décision des juges. II. [...]
[...] La réparation sur ce fondement était la réparation la plus adéquate, en nature, consistant à rendre le mandant débiteur du tiers comme si le mandataire n'avait pas outrepassé ses pouvoirs. Cependant cette solution était très critiquée par la doctrine et notamment par Calais-Auloy pour qui la jurisprudence exagérait, car considérer comme fautive toute création d'apparence trompeuse, c'était la négation de la théorie de l'apparence ou plutôt son absorption par celle de la responsabilité civile En effet la théorie de l'apparence et la solution tirée de la faute du mandant aboutissent aux mêmes conséquences si ce n'est que la faute retenue pour engager la responsabilité civile est artificielle. [...]
[...] Tout comme pour la propriété apparente, l'application de la théorie de l'apparence au mandat n'a pour but que de protéger les tiers et elle ne peut donc pas être invoquée par le mandant contre le tiers. Le but premier des juges de la Haute juridiction a été d'apporter la sécurité juridique aux conventions et de leur permettre d'être conclues rapidement, les juges ont pris en compte ce besoin de protection des tiers contractant en l'absence d'intervention législative bien qu'à l'époque il existe déjà depuis 1925 pour la société à responsabilité limitée un mécanisme d'inopposabilité du dépassement des pouvoirs légaux des dirigeants envers les tiers (mais les réformes de 66 et 78 pas encore faites). [...]
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