L'arrêt du Conseil d'Etat, en date du 14 juin 2002, « Association Promouvoir » met fin au contentieux du film « Baise-moi ». Il concerne le contrôle de légalité exercé par le Conseil d'Etat sur les visas d'exploitation des films cinématographiques, ainsi que sur les compétences du Ministre de la culture chargé de classer les films cinématographiques eu égard à ses pouvoirs de police spéciale.
En l'espèce, lors de sa sortie sur les écrans français en 2000, le film « Baise-moi » avait obtenu un visa d'exploitation assorti d'une interdiction de visionnage pour les mineurs de 16 ans. Ce film était constitué comme enchaînant, sans interruption, des scènes de sexe et des images d'une grande violence pouvant choquer certains spectateurs. En effet, il relatait la fuite de jeunes tueuses avec non seulement des scènes de violence mais également une scène de viol explicitement montrée. Du fait de la simple interdiction aux mineurs de 16 ans, l'Association Promouvoir engage alors une action judiciaire contre la décision ministérielle. Dans un premier temps, cette association intente un recours pour excès de pouvoir contre la décision du Ministre de la culture du 22 juin 2000 autorisant la diffusion du film à condition de l'interdire aux mineurs de 16 ans. Le Conseil d'Etat annule cette décision ministérielle aux motifs que « le film « Baise-moi » est composé pour l'essentiel d'une succession de scènes de grande violence et de scènes de sexe non simulées […] et qu'en se bornant à assortir le visa d'exploitation du film d'une interdiction aux mineurs de 16 ans et d'un avertissement, le Ministre de la culture a entaché sa décision d'excès de pouvoir ».
Ce film doit donc être interdit aux mineurs. Par conséquent, sachant que les pouvoirs du ministre chargé du cinéma ne lui permettent pas d'interdire un film aux mineurs autrement que par son inscription sur la liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence, ce film doit donc relever de ce classement sur cette liste. Dans un second temps, l'Association Promouvoir ne s'est pas arrêtée à cette décision et a intenté un recours contre le Ministre de la Culture pour obtenir l'annulation de sa décision de délivrer un nouveau visa d'exploitation pour le même film, assorti, cette fois, d'une interdiction aux mineurs de 18 ans.
En effet, l'association considère que ce film porte atteinte à la moralité publique, composante de l'ordre public. Le Conseil d'Etat a débouté l'association de sa demande aux motifs que « le ministre de la Culture n'a pas commis d'erreur d'appréciation et n'a pas méconnu le principe de la dignité de la personne humaine en accordant à ce film le visa d'exploitation assorti d'une interdiction aux mineurs de 18 ans ». Ainsi la question est de savoir dans quelle mesure une décision de délivrance d'un visa d'exploitation accompagnée d'une interdiction aux mineurs de 18 ans est-elle contraire à l'ordre public ? Pour répondre à cette problématique, il sera intéressant de revenir sur la polémique créée par l'Association Promouvoir avant d'observer les conséquences de l'arrivée du décret de 2001 sur la classification des films à caractère violent ou sexuel.
[...] Si tel avait été le cas, une mesure radicale d'interdiction de diffusion du film aurait pu justifier. En effet, une autorité de police administrative peut interdire l'exercice d'une liberté lorsque, cette mesure est la plus adéquate pour prévenir un trouble à l'ordre public. Par exemple, dans l'arrêt Commune de Morsang sur Orge rendu en 1995, le Conseil d'Etat, saisi d'un recours contre des arrêtés interdisant des spectacles de lancer de nain, pose comme principe que le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l'ordre public. [...]
[...] Ce qui vaut au film de sortir à nouveau en salles le 20 août de la même année. En effet, le Conseil d'Etat considère que le ministre de la Culture n'a ni violé le principe de la dignité de la personne humaine, ni fait une erreur d'appréciation du film qui justifierait l'annulation de sa décision. Une décision respectant le principe de la dignité de la personne humaine La violation du principe de la dignité de la personne humaine est utilisée par l'Association Promouvoir comme moyen invoqué pour obtenir l'annulation de la décision du ministre de la Culture qui, au lieu de classer le film sur la liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence, a profité de l'opportunité du décret de 2001 pour requalifier l'interdiction. [...]
[...] Cependant, il est évident que ces scènes peuvent choquer sur le plan moral. Même si les scènes d'intimité sexuelle ne peuvent être considérées comme portant atteinte au principe de la dignité de la personne humaine, il n'en est peut-être pas de même s'agissant de la scène de viol présente dans le film ayant un caractère dégradant pour la victime. Néanmoins, selon le Code pénal, le viol n'est pas classé parmi les atteintes à la dignité de la personne humaine. Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé à bon droit que sur le plan juridique, cette scène n'était pas contraire à ce principe. [...]
[...] Ainsi, le décret du 12 juillet 2001 rétablit la possibilité de délivrer un visa d'exploitation assorti d'une interdiction aux mineurs de 18 ans. Cette nouvelle mesure va engendrer un rebondissement dans l'affaire Association Promouvoir puisque le Conseil d'Etat, dans l'arrêt du 14 juin 2002, se range du coté du ministre de la Culture en refusant d'accéder à la requête de l'association d'annuler la décision de ce dernier et de délivrer un nouveau visa d'exploitation assorti cette fois-ci d'une interdiction de représentation aux mineurs de 18 ans en application du décret de 2001. [...]
[...] Ainsi, le Conseil d'Etat a précisé qu'un maire responsable du maintien de l'ordre dans sa commune peut interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d'un film auquel le visa d'exploitation a été accordé mais dont la projection est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère immoral du film et des circonstances locales, préjudiciables à l'ordre public Ainsi, l'intervention législative de l'autorité de police au nom de la moralité publique n'est possible qu'en présence de circonstances locales particulières. En effet, trois types de circonstances peuvent entrer dans cette catégorie telle que la composition particulière de population, les protestations émanant de milieux divers ou encore l'attitude prise par différentes personnalités. Cependant, l'évolution des mœurs a entraîné la raréfaction des arrêtés municipaux en matière cinématographique, cette jurisprudence étant passée au terrain de l'interdiction des affiches de film. Le débat sur la moralité publique paraissait clos en cette matière jusqu'à l'affaire du film Baise-moi en 2000. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture