Conseil d'État, 10e - 9e SSR, 9 novembre 2015, n° 376107, AGRIF, SARL Les productions de la Plume et M. M'Bala M'Bala - La circulaire du ministre de l'Intérieur est-elle conforme aux pouvoirs de police, et ce dernier peut-il préconiser l'interdiction de représentation d'un spectacle au motif qu'il porterait atteinte à l'ordre public ?

Extraits

[...] Alors, nous avons une ordonnance du 9 janvier 2014 : SARL Les productions de la plume, où un préfet avait interdit la représentation du spectacle de Dieudonné. Cette affaire avait fait beaucoup de bruit du fait de l'absence d'un aspect matériel, mais le Conseil d'État dira que les propos problématiques sont de nature à mettre en cause la cohésion nationale portant atteinte au respect des valeurs et principes notamment de dignité de la personne humaine consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine. [...]

[...] Alors le Conseil d'État va rétorquer en disant qu'au regard du spectacle tel qu'il a été annoncé et programmé, dire que les propos ne seraient pas tenus ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que les propos portant atteinte à la dignité humaine soient commis. L'idée est que dès lors qu'il modifierait son spectacle, l'interdiction ne serait plus légitime. En l'espèce dans notre arrêt, c'est la même chose que pour l'affaire précédente. Nous assistons alors à une extension très forte de l'administration qui vient se substituer au juge pénal à l'avance. B. [...]

[...] En effet, le Conseil d'État vérifie explicitement si la mesure de police en question est adaptée, nécessaire et proportionnée. Si un seul de ces critères n'est pas respecté, alors, le juge administratif doit annuler le texte. Ce triple test de proportionnalité était avant effectué inconsciemment par les juges administratifs qui appliquaient la jurisprudence Benjamin. L'arrêt Benjamin rendu par le Conseil d'État le 19 mai 1933 est l'un des plus importants de la jurisprudence administrative. En effet, il a permis de préciser les limites des pouvoirs de polices administratives que possède l'autorité municipale. [...]

[...] Alors, que même en l'absence de circonstances locales particulières l'autorité de police peut interdire une manifestation qui porterait atteinte au respect de dignité de la personne humaine. C'est au milieu des années 90 qu'est apparue l'idée d'intégrer le principe de dignité humaine à l'ordre public. En effet, le 27 octobre 1995 dans un arrêt Commune Morsang-sur-Orge, le Conseil d'État va mettre fin à une jurisprudence un peu hésitante des tribunaux administratifs qui consistait à appliquer la jurisprudence société les films Lutétia. [...]

[...] En effet, l'affaire Dieudonné a amené un certain nombre d'auteurs à dire que la formule d'Hauriou était du passé, les pouvoirs de police peuvent s'intéresser à des situations où le trouble à l'ordre public n'a aucune dimension matérielle. Le Conseil d'État a très vite compris qu'il avait sans doute était un peu trop loin et que l'affaire Dieudonné était un cas spécial et que cela n'entrainait pas l'évolution globale sa position. On a notamment les affaires dites du burkini en 2016 où le Conseil d'État rappelle que l'ordre public a nécessairement une dimension matérielle et extérieure. [...]