En l'espèce, une mesure avait été prise à l'égard d'un détenu, M. Rogier, le transférant d'une maison d'arrêt à un centre de détention. Le requérant contestait cette décision puisque, selon lui, cette mesure de transfert l'empêcherait de suivre le traitement médical nécessaire à sa condition pathologique, ce qui serait un traitement inhumain en violation de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
M. Rogier a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Paris afin qu'il suspende la décision de transfert, mais sa requête a été rejetée, estimant que cette mesure était une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de recours en tant que telle. Le requérant s'est alors pourvu en cassation devant le Conseil d'État.
Ainsi, la décision de transfert de M. Rogier était-elle contraire à la Convention européenne des droits de l'homme, et donc illégale ? Cette mesure était-elle une simple mesure d'ordre intérieur, ou un acte administratif susceptible de recours en annulation ?
[...] En effet, le juge administratif a plutôt mis en place des critères permettant d'apprécier la recevabilité du recours en excès de pouvoir : depuis les arrêts Marie et Hardouin du 17 février 1995, il s'attache à la nature et à la gravité de la mesure pénitencière. Ces critères sont ensuite devenus alternatifs dans l'arrêt du 30 juillet 2003, Remli. Cette évolution a permis un élargissement du recours en excès de pouvoir, et a ainsi progressivement fait disparaître les mesures d'ordre intérieur en milieu carcéral. [...]
[...] Ainsi, les premiers arrêts ont permis d'ouvrir le recours en annulation contre des mesures prises par les autorités des établissements pénitencières ; l'arrêt Remli en 2003 a permis d'étendre la recevabilité du recours en excès de pouvoir contre des mesures qui ne sont pas des sanctions ; et les arrêts rendus par le Conseil d'État en assemblée le 14 décembre 2007 ont permis de tracer une frontière entre les mesures d'ordre interne et les décisions susceptibles de recours, en donnant des critères clairs. Ainsi, l'arrêt M. Rogier permet un élargissement supplémentaire du recours en excès de pouvoir pour les mesures prises à l'égard des détenus, permettant de plus en plus le respect de leurs droits. Cette jurisprudence fait donc reculer les mesures d'ordre intérieur en matière pénitencière. Le recul continu des mesures d'ordre intérieur en milieu carcéral Ainsi, cet arrêt du Conseil d'État repousse encore les mesures d'ordre intérieur dans les établissements pénitencières, les réduisant désormais à une portion congrue. [...]
[...] Ainsi, le Conseil d'État ouvre ici de nouvelles possibilités, en affirmant qu'une décision qui normalement est une mesure d'ordre intérieur peut faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir si elle met en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus En principe, un transfert d'une maison d'arrêt à un centre de détentions est une mesure d'ordre intérieur, puisqu'elle est censée être bénéfique au détenu (ce qui n'est pas le cas si le transfert a lieu dans le sens inverse), mais l'intéressé pourra donc former un recours contre une telle décision si elle porte atteinte à ses libertés et droits fondamentaux. Ce principe avait été affirmé tel quel dans l'arrêt M. Boussouar du Conseil d'État en assemblée, le 14 décembre 2007. Cet élargissement semble ainsi parfaitement cohérent et justifiable, et qui plus est, il s'inscrit dans une certaine logique jurisprudentielle. [...]
[...] Cependant, comme le soutenait M. Guyomar dans ses conclusions, une logique inverse aurait été plus intéressante, consistant à considérer que toutes les décisions prises en milieu carcéral étaient susceptibles de recours, puis d'apprécier selon les cas d'espèce si certaines n'étaient pas suffisamment importantes ou qui ne remettaient pas en cause la situation juridique ou matérielle des détenus, et donc qui ne pouvaient faire l'objet d'un recours en annulation. Une telle logique aurait probablement énormément bénéficié au détenu, et aurait été plus rapide que l'évolution au fil de la jurisprudence Par ailleurs, cette jurisprudence a une portée encore limitée, son cadre restant assez étroit. [...]
[...] Si le Conseil d'État n'a pas fait droit à la requête de M. Rogier, il a néanmoins accepté de contrôler les mesures prises à l'égard des détenus qui sembleraient leur être favorables, comme le transfert d'une maison d'arrêt à un centre de détention, mais qui, en réalité porteraient atteintes aux droits fondamentaux de leur destinataire. On aboutit alors à une situation assez ambiguë, où le Conseil d'État affirme que de telles mesures sont des mesures d'ordre intérieur, mais qu'il accepte de les contrôler pour vérifier qu'elles ne porteraient pas une atteinte aux droits du requérant Cette ambiguïté aura probablement vocation à être clarifiée à l'avenir. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture