La société Cinéditions avait présenté au ministre de la Culture, ayant le pouvoir de police spécial en matière d'œuvres cinématographiques, une demande de visa d'exploitation pour le film « Quand l'embryon part braconner ». Après avis de la commission d'exploitation, le visa a été accordé, en restreignant cependant la diffusion du film aux majeurs de plus de 18 ans uniquement, en raison de la violence extrême de certaines scènes, du sadisme, de la torture, et de l'image avilissante de la femme présentée dans le film.
Cette restriction a été contestée par la société Cinéditions, qui a alors formé un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d'État contre la décision du ministre de la Culture, estimant que cette restriction portait atteinte à la liberté d'expression et que le ministre de la Culture aurait méconnu l'étendue de sa compétence en se bornant à reprendre le rapport de la commission de classification.
Le Conseil d'État a d'abord jugé que le ministre n'avait pas méconnu l'étendue de sa compétence puisque cet élément ne ressortait pas des pièces du dossier, puis a dû s'interroger : une décision interdisant un film d'art et d'essai comme étant trop violent est-elle légale ? Porte-t-elle une atteinte excessive à la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme ?
[...] Cette volonté de contrôler les œuvres cinématographiques s'inscrit dans la lignée de plusieurs jurisprudences. A La large appréciation de la moralité confiée au ministre de la Culture Au titre de sa fonction de police spéciale du cinéma, le ministre de la Culture bénéficie de prérogatives inhabituelles et d'une mission particulière. L'originalité du pouvoir de police spéciale du ministre de la Culture Il existe environ autant d'autorités compétentes en matière de police spéciale qu'il y a de lois réglementant cette police spéciale Et on n'a pas hésité à confier un pouvoir de police spéciale à des autorités ne disposant pas même du pouvoir de police administrative générale. [...]
[...] Ainsi, plusieurs films ont été de cette façon interdits de diffusion dans certaines communes (voir CE, assemblée avril 1963 sur le film Les liaisons dangereuses qui a été interdit dans certaines communes car jugé trop sulfureux), et le respect de la personne humaine a souvent été en jeu, par exemple dans l'arrêt du CE Association Free DOM, où une radio a été condamnée pour avoir diffusé des témoignages sur la découverte des corps d'une femme et d'un jeune garçon assassinés, avec force détails sanglants. Il s'agit donc essentiellement de tenter de préserver, à l'heure où la morale semble passée de mode, certaines valeurs, en faisant de la moralité publique une composante de l'ordre public. La morale publique, composante de l'ordre public La justification du maintien de la moralité par les polices administratives spéciales est qu'elle est en fait une composante de l'ordre public. Ainsi, puisqu'il est nécessaire de maintenir l'ordre public, il devient nécessaire de maintenir également la morale publique. [...]
[...] B L'éventuel excès de protection de la moralité publique Certains auteurs ont critiqué la défense de la morale publique par les autorités publiques et le Conseil d'État, et aujourd'hui, on peut effectivement se demander si le contrôle est encore justifié et s'il trouve une réelle utilité. L'utilité de la protection des mineurs Le but recherché est ici la protection des mineurs, les jeunes pouvant être plus sensibles aux images choquantes présentées par le film. Mais on sait également que la délinquance est un phénomène touchant de plus en plus fortement les populations jeunes. Des infractions très violentes sont aujourd'hui commises par de jeunes mineurs, est-il donc vraiment encore nécessaire de tenter de les protéger d'un film d'art et d'essai violent ? [...]
[...] Le Conseil d'État avait refusé de le classer mais avait remarqué qu'une classification interdit aux moins de 18 ans serait la bienvenue, et elle est arrivée en 2000, permettant à la fois la diffusion normale d'un film et la protection des mineurs. C'est dans ce cadre qu'agissait ici le ministre de la Culture, puis le juge administratif : il s'agit avant tout de protéger des mineurs, jeunes et plus sensibles à certaines scènes, d'un film très violent et dérangeant. Ainsi, cet arrêt marque, après de nombreux autres, la volonté du juge administratif et des autorités publiques d'assurer le respect d'un minimum de moralité dans la société. [...]
[...] Il y a donc peut-être un danger dans ces jurisprudences relatives à la morale publique, qui est la tentation d'un certain ordre moral, parce qu'en admettant que l'ordre public est composé d'une moralité publique, on autorise les maires à prendre des mesures de police en vertu de ce qui est moral ou non, de ce qui est bien ou mal Chaque société a besoin d'un socle de principes moraux, mais il y a des risques de dérives, car comment définir ce qui est moral ou immoral ? C'est très subjectif, et il faut aussi protéger la liberté de conscience et d'expression. L'ordre public général, avec le respect de la morale publique, est donc bien nécessaire et utile aujourd'hui, mais il faudra rester vigilant quant à d'éventuelles dérives, en tentant toujours de préserver la liberté d'expression et d'opinions. [...]
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