L'adage "ouvrage mal planté ne se détruit pas" ne semble plus aujourd'hui absolu.
Jusqu'alors incontesté, ce principe va connaître une régression, et ce sont deux arrêts du Conseil d'Etat qui permettent d'étudier ce phénomène, à savoir l'arrêt Syndicat départemental de l'électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Commune de Clans rendu le 29 janvier 2003 et l'arrêt Communauté de communes du Canton de Saint-Malo de la Lande du 13 février 2009.
Dans le premier arrêt, qui date de 2003, il était question de la dépose d'une ligne électrique aérienne basse tension desservant un quartier d'habitations. Un arrêté pris par le préfet approuvait le projet de détail du tracé de la ligne électrique, arrêté annulé par le Tribunal Administratif de Nice. La Cour Administrative d'Appel de Marseille avait rejeté l'appel interjeté par la commune de Clans, et saisie plus tard par Mme X, avait ordonné à la commune de procéder à la dépose de la ligne et de remettre les lieux en état. La commune de Clans s'est donc pourvue en cassation pour obtenir l'annulation de ce dernier arrêt rendu par la Cour de Marseille.
Dans le second arrêt il est question de la construction d'une cale d'accès à la mer par la communauté de communes du canton de Saint-Malo de la Lande. Le Président de la communauté de communes ayant refusé de démolir l'ouvrage, le Tribunal de Caen avait jugé que cet ouvrage était irrégulièrement construit et avait condamné la communauté de communes à réparer le préjudice auprès de l'association Manche Nature. Par la suite, la Cour Administrative d'Appel de Nantes avait partiellement annulé le jugement rendu par le tribunal administratif de Caen. La communauté des communes a donc décidé de se pourvoir en cassation.
Il était donc question de savoir dans quelle mesure le juge administratif peut ordonner la démolition d'un ouvrage public irrégulièrement implanté.
[...] Cette jurisprudence rendue par le Conseil d'Etat il y a quelques mois confirme en effet le renversement opéré en 2003 puisque le juge reprend le même considérant, réaffirmant ainsi la possible tangibilité des ouvrages publics. Toutefois, dans la marge d'appréciation importante dont il dispose dans l'opération de son contrôle, le juge nuance lui-même la portée de l'arrêt Commune de Clans : en effet, il use de son pouvoir souverain d'appréciation pour étendre la notion d'intérêt général qui, on le sait maintenant, peut être envisagée au regard de considérations non seulement d'ordre public et de service public, mais aussi économiques. [...]
[...] En effet, le juge administratif semble procéder à un réel renversement du principe. D'un principe d'intangibilité des ouvrages publics qui ne souffrait aucune exception, on passe à un principe de tangibilité des ouvrages publics soumis à conditions. Cette évolution jurisprudentielle doit être remarquée dans la mesure où cet arrêt marque la fin des privilèges absolus de l'administration en matière d'implantation des ouvrages publics, qui se trouvait dans une zone de parfaite impunité vis-à-vis des juges, qui ne contrôlaient pas de tels agissements. [...]
[...] A l'évidence, ces deux conditions ne vont pas permettre la destruction d'un ouvrage public irrégulièrement implanté de façon systématique. Il est aisé d'imaginer que la régularisation de la situation sera possible dans tous les cas où l'administration pourra exproprier les particuliers, et l'atteinte excessive à l'intérêt général pourra être admise dès lors qu'un service public important sera en cause, ou que l'ouvrage bénéficiera à un trop grand nombre de personnes. Les conditions ainsi posées ne sont pourtant pas si évidentes qu'il y paraît. [...]
[...] Il aurait été possible d'envisager que la nécessité que l'atteinte à l'intérêt général soit excessive empêche cette condition d'être trop facilement remplie, dans la mesure où ce n'est pas une simple atteinte à l'intérêt général qui, selon le juge, peut empêcher la démolition de l'ouvrage, mais bien une atteinte caractérisée. C'est donc avec beaucoup de prudence qu'il faut envisager cette jurisprudence, qui n'est pas aussi révolutionnaire qu'il était possible de l'imaginer. Si l'arrêt Commune de Clans rendu en 2003 semble renverser le principe d'intangibilité des ouvrages publics, les doutes émis à l'égard de cette jurisprudence sont confirmés par l'arrêt Communauté des communes de Saint-Malo de la Lande rendu le 13 février 2009 par le Conseil d'Etat. [...]
[...] En effet, le Conseil considère que l'atteinte est excessive dans la mesure où les conséquences néfastes pour l'économie, entraînées par une potentielle démolition de la cale, prévalent sur les inconvénients en terme d'impact sur le paysage, la faune et la flore. Le Conseil d'Etat, en prenant comme composante de l'intérêt général des considérations d'ordre économique, étend donc la notion d'intérêt général, ce qui augmente logiquement les possibilités d'atteinte à celui-ci. La condition d'atteinte excessive à l'intérêt général se trouve de ce fait plus facilement remplie contrairement à ce qui aurait pu être envisagé à la lecture de l'arrêt Commune de Clans. [...]
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