Occupation domaniale, délégation de service public, obligations de service public, résiliation unilatérale, faute, intérêt général, indemnisation, libre administration, intérêt à agir
Tout au long du XXe siècle, les personnes publiques, et notamment les collectivités territoriales, ont étendu le champ de leurs interventions économiques, d'abord dans des domaines fondamentaux (eau, assainissement…), puis dans des domaines de plus en plus variés (culture, sports et loisirs). Si la régie est le mode traditionnel d'exploitation des activités publiques, la multiplication des interventions a représenté une charge en ressources financières, humaines et techniques, qui s'est avérée trop importante pour que les collectivités publiques continuent à les assumer seules. Le contrat est alors apparu comme l'outil permettant de confier à des tiers, généralement privés, la gestion et l'exploitation de ces activités. Si le recours au contrat est censé apporter souplesse et efficacité, il est aussi synonyme de confrontation d'intérêts qui ne convergent pas nécessairement, et est donc en tant que tel source de conflits et contentieux, comme l'illustre l'affaire en cause dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 janvier 2011, Commune de Limoges.
La commune de Limoges avait conclu avec la société Albatros une convention d'occupation du domaine public (golf municipal) lui permettant d'y exploiter une activité économique d'hôtellerie restauration. Par plusieurs délibérations de son conseil municipal, la commune décida de changer le mode de gestion de cette activité en délégation de service public, de résilier le contrat d'occupation domaniale et de choisir un délégataire. La société Albatros attaque ces trois décisions devant le Tribunal administratif de Limoges.
La question se posait alors de déterminer les conditions dans lesquelles peut s'effectuer la résiliation unilatérale d'un contrat d'occupation du domaine public.
[...] Cela peut paraître à première vue contestable : c'est de cette décision de changer de mode de gestion que va découler la décision de résilier le contrat, et elle pourrait donc être considérée comme étant à l'origine du grief, en ce qu'elle va conduire à mettre fin à l'exploitation de l'activité par l'occupant du domaine. Cependant, le cocontractant se voit déjà reconnaître un intérêt à agir contre la décision de résiliation corollaire de la décision de changer de mode de gestion ; il a donc en toute hypothèse la possibilité de défendre son intérêt économique à voir le contrat se poursuivre, ce qui peut justifier en l'espèce de lui fermer la deuxième voie de recours qu'il empruntait L'absence d'intérêt à agir contre le choix du délégataire La société Albatros attaquait également la délibération par laquelle la commune avait arrêté le choix du délégataire du contrat de délégation de service public remplaçant son ancien contrat d'occupation domaniale. [...]
[...] Sans doute ne faut-il alors pas comprendre la formulation du Conseil d'Etat de façon si littérale, et admettre qu'elle ne concerne que l'intérêt à agir des sociétés. Cette solution se comprendrait alors comme le moyen, en opportunité, d'éviter la multiplicité des recours tenant à un même objet économique du point de vue du requérant (ie. conserver son contrat d'occupation domaniale), ce qui pourrait en l'espèce constituer des manœuvres dilatoires nuisibles à une bonne administration et à un bon fonctionnement du service public. [...]
[...] En ce qui concerne plus particulièrement les contrats d'occupation du domaine public, le bail emphytéotique confère un droit réel susceptible d'hypothèque, ce qui suppose une stabilité qui pose la question de sa compatibilité avec le pouvoir de résiliation unilatérale. Si la jurisprudence admet la résiliation pour faute (CE 25 février 1994, SOFAP Marignan), la doctrine considère en revanche que la résiliation pour motif d'intérêt général est incompatible avec le bail emphytéotique, qui se caractérise par une durée longue, l'existence de droits réels et la possibilité d'hypothéquer ce droit (article E.Fatôme et Ph.Terneyre, CJEG 1994, p.569). [...]
[...] On doit donc conclure à une large admission par le juge administratif du motif d'intérêt général comme fondement de la résiliation unilatérale du contrat, ce qui permet en l'espèce la validation par le Conseil d'Etat de la délibération de la commune de Limoges prononçant la résiliation du contrat d'occupation pour motif d'intérêt général. Au terme du contrôle des motifs avancés par la commune pour justifier la résiliation unilatérale du contrat d'occupation du domaine public la liant à la société Albatros, le juge administratif écarte donc la faute mais retient le motif d'intérêt général. Le principe de la résiliation étant désormais admis, encore fallait-il préciser les modalités de sa mise en œuvre, en prenant en compte les intérêts du cocontractant. [...]
[...] Si la convention peut stipuler que la décision de résiliation doit fixer le montant de l'indemnité, ou même que le cocontractant ne recevra pas d'indemnité (CE 7 mai 1952, Eloy), ce n'est pas le cas en l'espèce, et la société Albatros pourra donc être indemnisée, en fonction des conclusions de l'expertise ordonnée à cette fin, du préjudice direct et certain résultant de la résiliation de la convention d'occupation domaniale avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation du domaine conforme aux prescriptions de la convention et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation (arrêt Société Jonathan Loisirs, précité), c'est-à-dire à hauteur de la valeur non amortie des dépenses exposées par l'entreprise pour la réalisation des constructions et installations immobilières autorisées par la commune de Limoges ainsi que pour les équipements mobiliers qui s'y rattachent. [...]
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