Parmi les moyens tirés de la légalité interne qui peuvent être soulevés par le requérant, se trouve le problème de la qualification juridique des faits. Le juge va vérifier, depuis l'arrêt "Gomel" du 4 avril 1914, si les faits litigieux sont correctement qualifiés, c'est-à-dire qu'ils entrent dans une catégorie expressément prévue. Cette qualification du juge ne peut intervenir, nous le verrons, que lorsque l'administration a compétence liée.
Cependant, une nouveauté est introduite dans l'arrêt "Babas" du Conseil d'Etat du 19 avril 1991. En effet, pour pallier l'absence de qualification juridique des faits liés au pouvoir discrétionnaire de l'administration, le juge va adopter deux méthodes alternatives qu'il conviendra d'approfondir par la suite, l'erreur manifeste d'appréciation et le plein contrôle de proportionnalité.
En l'espèce, Mme Babas s'est maintenue illégalement sur le territoire français et a donc fait l'objet, le 19 avril 1990, d'une mesure de reconduite à la frontière de la part du préfet du Loiret. Elle saisit dans la foulée le tribunal administratif d'Orléans afin qu'il annule l'arrêté qu'elle estime infondé, requête qu'il rejettera le 26 avril 1990. Elle abat donc sa dernière carte et forme un appel devant le Conseil d'Etat qui, le 19 avril 1991, dans sa formation la plus solennelle, rejette à nouveau la requête de Mme Babas.
Il semble inévitable de mentionner la décision intervenue le même jour en matière, également, de police des frontières, l'arrêt ‘'Belgacem''. Ce dernier fait l'objet d'un arrêté du ministère de l'Intérieur lui enjoignant de quitter le territoire mais, à la différence de Mme Babas, il parviendra à le faire annuler, en appel, par le Conseil d'Etat. Si au final les solutions ne sont pas les mêmes dans les deux arrêts, le raisonnement de la haute juridiction administrative est quant à lui semblable et constitue une véritable extension du contrôle de proportionnalité, extension qu'il n'a pas fait à tout va mais qui apparaissait comme nécessaire en matière de police des frontières.
Ces deux décisions semblent donc démontrer la volonté du juge de renforcer, encore un peu plus, la protection des droits et libertés des administrés.
Il convient de se demander alors si le juge a "les mains libres" quant à l'appréciation de la légalité des décisions prises par une autorité administrative qui dispose d'un pouvoir discrétionnaire. Ou, autrement dit, s'il peut effectuer un contrôle fondé sur l'équilibre entre violation des libertés individuelles et maintien de l'ordre public sans être apparenté à un véritable administrateur?
[...] De plus, cette annulation aura autorité de chose jugée, c'est-à-dire qu'elle s'imposera à tous les administrés et pas seulement au requérant. A l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, plusieurs moyens sont susceptibles d'être invoqués. Ces moyens se partagent en deux catégories, les moyens de légalité externe et les moyens de légalité interne. Cette distinction est importante dans la mesure où si le juge annule un acte sur des moyens tirés de la légalité externe, il va pouvoir maintenir l'acte dans son contenu, c'est-à-dire qu'il ne va pas retenir les moyens tirés de la légalité interne. [...]
[...] Le juge doit donc se demander si les faits litigieux sont de nature à entrer dans une catégorie juridique afin d'authentifier sa décision. Ce moyen, de légalité interne on l'a dit, est apparu du début du siècle dernier, le 4 avril 1914, dans l'arrêt ‘'Gomel''. En l'espèce, le juge se devait de qualifier juridiquement une place située à Paris afin de savoir quel régime de construction y était applicable. Son travail n'est donc pas négligeable dans la mesure où des qualifications différentes vont entrainer des conséquences totalement différentes pour les administrés. [...]
[...] Cependant, le requérant ne pourra, ensuite, lors de l'introduction de l'instance, ou d'un éventuel appel, que renforcer cette argumentation sans apporter de nouveaux moyens. En effet, un des principes non écrits du droit administratif empêche le juge à statuer ultra-petita, c'est-à-dire que ce dernier reste lié au contenu de la requête. Mais, en pratique, et parce que tous les administrés ne peuvent se prévaloir de qualités juridiques minimums nécessaires à la bonne rédaction d'une requête, le juge a souvent fait preuve de souplesse pour interpréter de manière favorable les moyens soulevés. [...]
[...] Ces deux décisions semblent donc démontrer la volonté du juge de renforcer, encore un peu plus, la protection des droits et libertés des administrés. Il convient de se demander alors si le juge a ‘'les mains libres'' quant à l'appréciation de la légalité des décisions prises par une autorité administrative qui dispose d'un pouvoir discrétionnaire . Ou, autrement dit, s'il peut effectuer un contrôle fondé sur l'équilibre entre violation des libertés individuelles et maintien de l'ordre public sans être apparenté à un véritable administrateur? [...]
[...] Ce dernier, comme pour la première espèce, se fonde sur les mêmes critères. Ainsi, n'ayant plus aucun lien d'attache avec son pays d'origine, vivant en France depuis sa naissance en 1958, ayant douze frères et sœurs qu'il assume en partie, et, malgré des vols entre 1980 et 1982, son comportement s'étant depuis largement amélioré, il ressort clairement que l'expulser porterait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale par rapport à ‘'la défense de l'ordre public''. Ainsi, on voit que le juge, dans les deux affaires, se fonde sur des critères ayant, certes, une base légale, mais qui demande une appréciation souveraine. [...]
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