« La notion de circonstances locales liée à l'immoralité était aussi imprécise que contestable : le Conseil d'État n'ayant pas vocation à s'ériger en censeur de la moralité » (Jacqueline Morand-Deviller, cours de droit administratif).
Par un arrêt en date du 18 décembre 1959, le Conseil d'État réunit en section a eu l'occasion de se prononcer par l'arrêt « société « les films Lutétia » quant à la complémentarité entre police générale et police spéciale, ainsi que sur la composante traditionnelle de la moralité publique relative à la notion d'ordre public.
Le litige survient suite à l'interdiction d'un film dont la projection paraissait au maire de la commune comme susceptible d'entrainer des troubles sérieux, à raison du caractère immoral et des circonstances locales préjudiciables à l'ordre public en dépit du visa accordé par le ministre chargé de l'information.
La société de production cinématographique assigne devant le tribunal administratif le maire de la commune en recours pour excès de pouvoir, mais le jugement ne fait pas droit à leur demande, ils saisissent donc le Conseil d'État.
On peut alors se demander si une autorité locale peut déroger à une mesure de police nationale en raison d'un trouble à l'ordre public relatif à l'immoralité que causerait sur le territoire de sa commune, la projection d'un film ayant reçu un visa ministériel d'exploitation. Si oui, sous quelles conditions ?
[...] La Conseil d'État retient que le contrôle préventif attribué au ministre chargé de l'information n'engendre pas l'incompétence des maires, qui peuvent, par l'exercice des mesures de police générales interdire sur le territoire de la commune a représentation d'un film auquel le visa d'exploitation ministériel a été accordé mais dont la projection est susceptible d'entrainer des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales préjudiciables à l'ordre public.En l'espèce, le caractère immoral du film est confirmé, tout comme les circonstances locales justifiant l'interdiction de la projection sur le territoire de la commune : ainsi le Conseil d'État confirme le jugement de première instance. [...]
[...] l'intervention des autorités locales de police n'étant toutefois pas écartée en dépit du principe de l'exclusivité En effet, le maire est-il autorisé à annuler par un arrêté la décision prise par le ministre de délivrer un visa autorisant sur le territoire national la diffusion d'un film ? En principe, non : en cas d'intervention de la police spéciale, celle-ci prend en compte tous les impératifs de l'ordre public, rendant dès lors inutile tout recours à la police générale : il s'agit du principe d'exclusivité (CE juillet 1935 : Ets SATTAN et CE 10 avril 2002 : Min. Equip.) C'est une hypothèse qui est elle assez fréquente, et normalement le recours à une police spéciale rend illégal le recours à une police générale. [...]
[...] Toutefois, ce dernier voit sa décision d'octroyer le visa contestée par le maire d'une commune, qui estime la projection du film autorisé y compris dans son territoire local comme présentant des troubles sérieux et préjudiciables à l'ordre public en vue des circonstances locales : le maire exerce dès un pouvoir de police générale, qu'il convient dès lors d'expliciter, tout en s'interroger quant à la concurrence entre police spéciale et police générale. On peut en d'autres termes se demander dans quel but le Conseil d'État accepte en l'espèce de déroger au principe de l'exclusivité en autorisant le maire de la commune à annuler la projection d'un film en dépit de l'autorisation reçue par le ministre de l'information par le biais du visa . [...]
[...] L'immoralité du film est un motif valable d'interdiction à condition qu'elle soit accompagnée de circonstances locales : tout dépend des coutumes particulières à chaque territoire communal il s'agit d'une double combinaison : le juge reconnaît ainsi au maire le droit, indépendamment de tout risque de trouble matériel, d'agir pour la paix des consciences, en fonction d'un contexte local souvent peu significatif : après avoir dans nu premier temps admis aisément l'existence de circonstances locales, notamment à Nice dans l'arrêt à l'espèce, le juge s'est montré plus exigeant ( CE avril 1963 ) notamment à l'occasion de onze arrêts rendus à propos des liaisons dangereuses où selon l'existence ou non de telles circonstances, les mesures de police ont été confirmées ou non ( Frier, Petit : précis de droit administratif ) Les autorités locales sont donc soumises à certaines restrictions pour pouvoir prendre des mesures de police générales d'interdiction : par exemple les publicités des messageries roses, sont peut être immorales, mais tant qu'elles ne soulèvent pas l'émoi populaire, l'interdiction municipale serait estimée illégale. (CE juillet 1997 : commune de Saint-Omer) Comme l'a dit le célèbre doyen Carbonnier : on accorde une action à l'individu mais saura-t-il s'en servir ? : l'arrêt en l'espèce permet aux autorités locales d'annuler la projection cinématographique de films jugés immoraux en vue des circonstances locales en dépit de l'octroi du visa par les autorités nationales : quel usage vont en faire les autorités locales ? [...]
[...] Les autorités de police générale ne sauraient imposer un ordre moral : elles ont seulement le droit de protéger un certain état des consciences, d'empêcher les atteintes publiques au minimum d'idées morales naturellement admises, à une époque donnée, par la moyenne des individus (P.-H. Teitgen : la police municipale ) .Elles sont donc à même de limiter ou d'interdire des activités dites choquantes au regard de la situation locale, voire nationale, et pour se faire elles fondent sur les différentes composantes de l'ordre public, à savoir le traditionnel triptyque du professeur Chapus : le principe de la sécurité publique, le maire devant prévenir de toute sorte de péril menaçant le public ( CAA Marseille mars 2006 : Commune de Grasse le principe de la tranquillité publique visant au maintien de la quiétude sociale par une vie collective exempte de trouble (CE juillet 1997 : Bricq et le principe de la salubrité publique, qui conduit à préserver la santé publique. [...]
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