Le sujet des critères de la distinction entre police judiciaire et police administrative est un sujet fécond dans la jurisprudence administrative qui a fait, au fil du temps, l'objet de nombreux éclaircissements, tant dans les arrêts « Consorts Baud », du Conseil d'Etat, et « Dame Noualek », Du Tribunal des Conflits qui ont, en 1951, posé pour la première fois des bases pour ces critères, que dans l'arrêt du Tribunal des Conflits du 18 juin 1978 « Société le Profil », que nous allons étudier.
Dans l'affaire « Société le Profil », la dite société, qui faisait depuis trois ans assurer par le Commissariat de police de Meulan la protection des transferts de fonds qu'elle opérait entre son usine et la banque a vu, lors de l'un de ces transferts, le 8 décembre 1972, son argent dérobé sans que la police n'intervienne pour empêcher le vol puisqu'elle ne voulait pas blesser la foule qui était nombreuse sur les lieux, et sans qu'elle retrouve les malfaiteurs une fois le vol terminé. La perte financière subie étant importante, elle a donc demandé une indemnisation au ministre de l'Intérieur.
Mais celui-ci la lui a refusé, ce qui l'a poussé à saisir le Tribunal Administratif de Versailles d'une action en indemnisation contre l'Etat, au motif de l'insuffisance des mesures de protection prises par la police pour le transfert de fonds, et de l'absence de réaction et de la carence des policiers après le vol, ceux-ci n'ayant même pas alors essayé de prendre l'argent volé. Ce tribunal administratif a finalement rejeté sa demande en disant, sur le fond du droit, qu'aucune faute n'avait été commise par la police dans la préparation et l'exécution de sa mission, après avoir déclaré que le dommage allégué avait pour origine une opération de police administrative et était donc de la compétence du juge administratif, s'opposant ainsi à la question de son incompétence qui avait été soulevée par le ministre de l'Intérieur.
Le tribunal des Conflits a répondu à la question qui lui était posée en l'espèce en affirmant que le préjudice dont faisait état la société le Profil était intervenu au cours d'une mission de protection et trouvait essentiellement son origine dans les conditions de cette mission, et que, puisqu'une telle mission relevait de la police administrative, le litige relevait de la juridiction administrative. Il a ainsi, tout en tenant compte des précisions que la jurisprudence avait apporté précédemment quant à la distinction entre polices judiciaire et administrative, et cela notamment dans les arrêts « Dame Noualek » et « Consorts Baud » déjà cités et dans l'arrêt du Tribunal des Conflits « Demoiselle Motsch » de 1977, résolu le problème de la concomitance des opérations de police, et par là même simplifié l'un des aspects de la distinction délicate entre polices administrative et judiciaire.
L'arrêt « Société le Profil » semble donc être très important pour le droit administratif. C'est pourquoi nous l'étudierons, en voyant dans un premier temps le rappel des règles de distinction entre police administrative et police judiciaire déjà posées par la jurisprudence effectué dans la décision (I), puis la nouvelle affirmation du principe du critère de l'opération de police déterminante (II) en cas de concomitance des opérations de police dans un litige.
[...] Mais le critère semblait être difficilement applicable en l'espèce, puisqu'il semblait bien que l'opération de police ait changé de nature au cours de l'opération en passant de la simple mission de protection qu'elle avait à l'origine à une mission de répression une fois le vol commis. Or, si le changement de nature d'une opération de police au cours même de son exécution avait déjà, avant l'arrêt Société le Profil été reconnu possible dans un arrêt Demoiselle Motsch rendu en 1977 par le Tribunal des Conflits, qui avait jugé qu'il y avait eu, dans l'affaire en question, un décalage dans le temps et dans l'espace par rapport à la mission d'origine, il n'était pas évident que ce raisonnement puisse s'appliquer à l'affaire de la Société le Profil puisque le dommage semblait autant avoir sa source dans l'échec de l'opération de protection, qui relevait manifestement de la police administrative, que dans l'échec de la mission d'arrestation des malfaiteurs et de récupération de l'argent volé, qui relevait plutôt de la police judiciaire, et il semblait ainsi y avoir une concomitance entre les deux types d'opération. [...]
[...] Aussi, plutôt que de dire une nouvelle fois dans quelles conditions une opération de police administrative pouvait se transformer en opération de police judiciaire à la suite d'un délit commis au cours même de cette opération, le Tribunal des Conflits devait aller plus loin, et préciser pour la première fois quel était le critère pour déterminer la compétence dans un litige où il y avait concomitance de deux types d'opérations. Le tribunal des Conflits a répondu à la question qui lui était posée en l'espèce en affirmant que le préjudice dont faisait état la société le Profil était intervenu au cours d'une mission de protection et trouvait essentiellement son origine dans les conditions de cette mission, et que, puisqu'une telle mission relevait de la police administrative, le litige relevait de la juridiction administrative. [...]
[...] Ainsi, en affirmant que le préjudice allégué dans l'affaire trouvait essentiellement son origine dans les conditions dans lesquelles avait été organisée la mission de protection, le Tribunal des Conflits a finalement fait allusion à cette existence dans le litige de plusieurs périodes différentes aux opérations de police différentes. Mais, contrairement à la solution rendue dans l'arrêt Demoiselle Motsch il n'a pas simplement pu prononcer la compétence judiciaire et affirmer que le litige concernait la police judiciaire puisque les fautes lourdes susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat dont parlait la société le Profil ne concernaient pas une seule de cette période mais les deux, et il a donc du, pour délimiter les juges compétents en l'espèce, dégager un nouveau critère. [...]
[...] Bien loi de renier ces deux décisions, il s'en sert au contraire pour opérer la distinction en l'espèce, selon ce qu'on appelle le critère de distinction finaliste selon lequel on peut distinguer quelle police est à l'origine d'une certaine opération en s'intéressant à la finalité de l'opération. Plus particulièrement, cette méthode permet d'affirmer que l'opération relève de la police administrative si sa finalité était préventive, et que l'opération avait une mission de surveillance visant à la paix sociale, et de décider qu'elle relevait par contre de la police judiciaire si elle avait pour but de rechercher les auteurs d'une infraction et de réprimer celle-ci (ce deuxième cas étant de plus en conformité avec l'article 14 du Code de procédure pénale, selon lequel la police judiciaire est chargée de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte . [...]
[...] C'est pour cette raison que le Tribunal des Conflits a posé dans l'arrêt que nous étudions le critère de l'opération de police qui a été déterminante du préjudice, ce que l'on peut voir car il a fait référence au fait que le préjudice trouvait essentiellement son origine dans telle partie de la mission de la police. Ainsi, au vu de cette décision, en cas de concomitance de deux opérations de police distinctes dans la réalisation d'un dommage, le juge compétent sera celui qui sera concerné par la plus déterminante des deux, ou plus précisément par celle qui aura été essentiellement à l'origine du dommage. [...]
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